Qu'est-ce qui fait la réalité d'un désir? Ou plutôt que croit-on faire quand on dit "réaliser" un désir?
Il est de coutume de penser le rapport entre désir et réalité comme celui d'un sujet désirant, surplombant le réel, où il contemple les objets possibles de son désir. C'est là faire du désir une question de choix, de liberté et de ne cantonner le réel qu'à n'être que la réserve de nos désirs toujours disponibles. Il y a là une illusion métaphysique qui nous fait croire que le désir transcende le réel comme la liberté transcenderait la nécessité.
A rebours de cette disposition à penser notre désir comme maître et possesseur du réel, L'Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari nous invite à penser non ce désir abstrait, extrait comme par magie du réel, mais un désir concret inscrit dans le réel lui-même. Un objet désiré l'est non pas parce que je le veux, mais parce qu'il m'apparaît comme désirable, car pris dans un ensemble qui le rend signifiant à mes yeux. Ainsi de cette robe verte, que je désire, non seulement parce qu'elle m'apparaît dans cette vitrine de magasin, mais aussi parce que je me vois dedans, élégante et désirable, pour telle ou telle occasion...etc
Ce faisant, s'interroger sur le rapport entre désir et réalité, c'est poser le problème du sens même du désir. En effet, si par désir, on entend la conscience qu'a un sujet désirant de ce qui le pousse à vouloir tel ou tel objet désiré, alors le sujet désirant ne fait que prendre ses désirs pour des réalités; mais si par désir, on entend une certaine tendance à vouloir, alors le désir n'est que la réalisation de ses tendances en tant qu'elles prennent corps dans le réel. Ainsi, je ne désire pas telle chose dans l'abstrait comme un caprice de ma volonté, mais je désire concrètement telle chose, aperçue ici et maintenant, que j'imagine agréable dans telle ou telle contexte pour telle ou telle occasion...etc. Aussi, il conviendra de comprendre en quoi il ne faut pas opposer le désir et le réel, mais que le désir est le mot qui désigne notre rapport au réel et qui, à bien le comprendre, doit se confondre avec le réel et non s'en distinguer.