Lectures philosophantes

Lectures philosophantes

samedi 9 février 2008

Synopsis du cours du 07/02/08 - Diversion - Génie et mélancolie

"Pourquoi tous ceux qui ont été des hommes d'exception en ce qui regarde la philosophie, la science de l'Etat, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancoliques (...)?" Pseudo-Aristote, Problema XXX, 1, trad° Pigeaud

Par cette question, Aristote inaugure une tradition interprétative qui lie ensemble génie et folie: pourquoi les êtres capables de se dépasser (peri-) ont-ils tendances à s'égarer hors de la raison? Maladie sacrée d'Heraclès, gloire vaniteuse de Lysandre, folie héroïque d'Ajax, orgeuil démesuré de Bellérophon, tempérament mélancolique d'Empédocle, de Socrate ou de Platon, les exemples sont nombreux pour illustrer la maladie des hommes voués à se dépasser.

De la même façon que le vin modèle les caractères , le mélancolique, c'est-à-dire ce corps où la bile noire rompt l'équilibre des humeurs, est de caractère instable. Variant autant de façon quantitative que qualitative, la bile noire est présente dans le corps du mélancolique au titre d'un sédiment ou d'un résidu: il est le trop plein d'une activité débordante. Là où, chez l'homme ordinaire, le bon mélange garantie l'équilibre, chez le mélancolique, l'inconstance du caractère est dûe à un constant déséquilibre des humeurs.
Mais cette inconstance répétée est le prix à payer quand on possède le talent de rompre avec ses habitudes. Car, l'homme d'exception est l'homme du superflu, du trop-plein, du débordement. Par nature, cette présence constante du déséquilibre des humeurs fait de l'homme de génie un mélancolique du fait de cet état maladif propre à ceux chez qui la capacité d'agir ou de créer dépasse l'ordinaire.

Aussi, les mélancoliques sont des érotomanes. Leurs capacités à se modeler comme à se dépasser soi-même est le fait d'une puissance appêtitive débordante qui les transporte. Mais cette poussée créatrice fait varier leurs états et rend inconstant leur caractère les obligeant à se décharger d'un trop-plein. La liberté créatrice qui anime cet être rempli d'un désir débordant se paye ainsi souvent au prix d'un oubli de la simple nécessité vitale. C'est là un désir qui, parce qu'il déborde au-delà des objets du plaisir, risque d'ignorer le nécessaire ou l'ordinaire pour préférer le superflu ou le grandiose

vendredi 8 février 2008

Pas de cours le 28/02/08

Pour des raisons professionnelles, il n'y aura pas de cours le 28/02/08

Textes pour le cours du 06/03/08 - La concupiscence















Thomas d'Aquin, Somme théologique, Les passions de l'âme, Questions 30, trad° Corvez, éd° Desclée & Cie, 1949

dimanche 3 février 2008

Synopsis du cours du 24/01/08 - Diversion: la gastronomie

Diversion - Opération de l'esprit consistant à détourner l'attention afin de permettre à la pensée de se défier de ses propres opinions et de varier son contenu. Moyen de cultiver son irrésolution, c'est-à-dire l'art de toujours et encore exercer son jugement.

L'appêtit est à la fois un mouvement naturel et des façons culturelles: comme mouvement vital, il est ce qui pousse à s'alimenter, comme lieu d'exercice du jugement, il produit de la culture ou est un produit de la culture.
Ainsi des 4 premiers aphorismes de la Physiologie du goût de Brillat-Savarin:
"I. L'Univers n'est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.
II. Les animaux se repaissent; l'homme mange, seul l'homme d'esprit sait manger.
III. La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
IV. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce qu tu es."
L'appêtit est ici ce mécanisme du désir: élan vital qui connaît différents degrés selon la puissance effective du jugement à donner corps à cet élan. L'acte de manger est alors à la fois une nécessité qui commande l'avenir des hommes et une culture qui détermine ce même avenir. Manger est autant une façon habituelle de s'alimenter que le lieu d'expression de sa singularité.

On appellera sensibilité gastronomique ce jeu du corps et de l'esprit qui se présente comme l'art de régler les estomacs.
L'histoire de la sensibilité n'est pas avare d'exemples sur la façon dont les hommes répondent à la fois à la nécessité de s'alimenter et cultivent cette même nécessité (cf. Revel, Corbin ou Quellier).
Ainsi de l'invention du restaurant comme lieu où on satisfait une nécessité avec esprit. (Cf. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Méditations XXVIII). Le restaurant répond d'abord à un besoin, se restaurer, mais on y prend prétexte pour une fête ou un festin. Mais plus qu'un étalage sans subtilité d'aliments, la gastronomie se veut l'art de cultiver le goût de l'agréable plus que celui de subvenir au nécessaire. Ainsi, aller au restaurant, c'est répondre au besoin de façon agréable et satisfaisante; c'est manger non pas une chose, mais une portion; c'est être à une place, mais pour être servi et pour pouvoir choisir dans un menu.
Ainsi de la gastronomie définit par Brillat-Savarin comme la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme en tant qu'il se nourrit. Cette science a pour sujet tout ce qui peut être mangé, pour but, la conservation des individus et pour moyens toute une culture, un commerce, une industrie. Là encore, la culture est portée par une nécessité naturelle qu'elle transporte à sa guise.

L'appêtit est un besoin qu'il faut savoir cultiver, une nécessité qu'il faut savoir rendre superflu et une obligation qu'il ne faut pas négliger.

samedi 2 février 2008

Bibliographie - L'appétit.

Oeuvres:
Aristote, De l'âme, III, 9 à fin, trad° Bodéüs, GF, 1993.
Aristote, Ethique à Nicomaque, III, 9 à 12, trad° Tricot, Vrin, 1994.
Brillat-savarin, Physiologie du goût, Champs-Flammarion, 1982
Deleuze-Guattari, L'Anti-Oedipe, Capitalisme et schyzophrénie, Livre I, chp. 1, éd° Minuit, 1972/1973

Commentaires:

Sur Aristote:
J. Frère, Les Grecs et le désir de l'être, des préplatoniciens à Aristote, 1981, pp. 287-437
J.L. Labarriere, "De la phronesis animale", Biologie, logique et métaphysique chez Aristote, éd. par Devereux et Pellegrin, 1990, pp. 405-428

Sur la sensibilité gastronomique:
JF Revel, Un festin en paroles, Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l'Antiquité à nos jours, éd° Texto, 1978
T. Tahon, Petite philosophie de l'amateur de cuisine, éd° Milan, 2007
F. Quellier, La table des Français, Une histoire culturelle (XV-XIX siècle), Ed° PUR, 2007
D. Le Breton, La saveur du monde, une anthropologie des sens, éd° Métaillié, 2006
H This et P. Gagnaire, La cuisine, c'est de l'amour, de l'art et de la technique, éd° odile Jacob, 2006
A. Corbin, Le miasme et la jonquille, éd° Champs-Flammarion, 1998