Lectures philosophantes

Lectures philosophantes

lundi 26 novembre 2007

Outils - l'ardeur, Platon



Au-delà de sa simple valeur patrimoniale, un concept vaut en tant qu'outil.

Plus que connaître l'histoire de tel ou tel concept, il convient d'apprendre à se servir d'un concept comme instrument de sa propre pensée

Les ardeurs du désir. - Qu'est-ce que désirer?
Le désir peut n'être qu'une série de désirs épisodiques difficiles à vaincre, désir se perdant dans la multiplicité des objets possibles. Désirer telle chose est alors un désir qui ne prend sens que relativement à cette chose. Loin d'une compréhension de la nature de son désir, désirer n'est alors plus que la consommation de ce qui se présente comme désirable: je désire tel objet, puis tel autre... l'intensité du désir n'étant que relativement au renouvellement des objets de mon désir.
Aussi faut-il apprendre non pas à désirer toujours à nouveau un nouvel objet du désir, mais à désirer encore et toujours indépendamment de l'objet lui-même. C'est là s'activer à toujours désirer avec un certain sens de la mesure plus qu'à vouloir sans cesse toujours autre chose.

Mais désirer peut aussi être cette furieuse passion qui se traduit par une attirance excessive pour une chose (argent, plaisir du corps...). Ici, le désir est un emportement débridé que la pensée s'efforce de retenir. Mais le sens de la mesure, c'est-à-dire la résistance à l'emportement est elle-même une forme de désir, celui de ne pas céder à la démesure, c'est-à-dire de ne pas se laisser subjuguer par les objets de son désir. Là où la fureur du désir emporte le sujet désirant au-delà de lui-même, la résistance aux désirs le travaille de l'intérieur en le rendant maître de son désir.
Ainsi d'un régime comme tentative de maîtriser son désir de nourriture: ce régime est sans secours tant que l'on se laisse emporter par ses désirs qui ne prennent de la vigueur que grâce à la multiplicité des aliments à sa disposition. On ne cesse alors de céder à la subjugation des objets du désir. Un régime ne fait sens pour soi-même que lorsque l'on devient maître de sa faim: résistant à la tentation, on forge en soi-même une ardeur tout aussi intense qui comble son envie de nourriture. En quoi il y a autant de joie à se sentir maître de soi qu'à succomber à ses désirs.

samedi 24 novembre 2007

Synopsis du cours du 22/11/07 - Ma tête, mon coeur...3/5 - les ardeurs de l'âme

Où il apparaît que la question de la tripartition de l'âme chez Platon est moins l'objet d'un exercice comptable (un, deux ou trois principes?) qu'un problème de mécanique: comment rendre compte de l'ardeur de l'âme sans ne voir de l'intensité que dans les plaisirs du corps?
Ainsi de Léontios (République, 439e-441c) remontant du Pirée vers Athènes qui, aperçevant des cadavres qui gisaient au lieu des exécutions publiques, fut pris à la fois du désir de regarder et en même temps était rempli d'aversion. Résistant un certain temps et se voilant le visage, il fut finalement subjugué par son désir. Il ouvra alors grand les yeux et, courant vers les suppliciés, dit "Voilà pour vous, génie du mal, rassasiez-vous de ce beau spectacle!"
Le thumos est ici un principe médian à la fois force de résistance à la tentation du voyeurisme, emportemen obscène du désir et colère de la raison devant la subjugation des désirs.
Mais affirmer que la dynamique du désir est l'objet de 3 principes concurrents, c'est courir le risque de la contradiction (le manichéisme de la raison et des passions a pour lui l'apparence de la simplicité). Le sujet désirant est ainsi selon Platon semblable à une toupie (République 436d-e), immobile sur son axe mais animée d'un mouvement de rotation où l'équilibre est le seul garant de l'unité dans la multiplicité.
Qui désire est à la fois poussé hors de lui vers l'objet désiré mais aspire en même temps à se rendre maître de la force et de l'orientation de son désir. Aussi le désir est-il le moteur qui anime le sujet désirant tout en lui faisant courir le risque de l'emporter plus loin qu'il ne le souhaite.
Aussi, chaque désir peut être de l'ordre de l'agir (approbation - ex. désirer boire) ou du pâtir (désapprobation - ex. ne pas désirer boire), mouvement d'adhésion ou de rejet. Il convient ainsi de distinguer entre une définition absolue du désir (soif de boire en général) et un désir relatif (soif de boire telle boisson plutôt qu'une autre): un sujet ne devient maître de son désir non pas parce qu'il désire tel ou tel objet mais parce qu'il se rend maître de comment il désire. Car désirer n'est pas tant être attiré vers... mais s'activer à..., c'est-à-dire n'est pas savoir ce que l'on désire, mais comment désirer.
Dès lors, le désir travaille le sujet désirant: il le pousse autant qu'il le contraint, le bouscule autant qu'il le tend, l'anime autant qu'il l'agite, l'excite autant qu'il le raisonne. Mais ce constant jeu entre raison, ardeur et désirs est cette intensité même qui traduit toute la vivacité du désir et fait la joie autant que les tracas du sujet désirant.

mercredi 21 novembre 2007

Texte complémentaire pour le cours du 29/11/07 - PLATON, Timée, 69b-72b






L'amour victorieux, Le Caravage (1602)

L'ardeur est semblable à ce chérubin, angelot des élans amoureux qui promettent autant qu'ils emportent et dont les fougues lient les êtres entre eux tout en livrant le monde aux désordres de la ferveur.
Figure juvénile pleine d'innocence autant que corps érotisé d'un jeune éphèbe aux ailes effrayantes d'oiseau de proie, Eros est cet aiguillon du désir qui en fait tout le piquant: l'ardeur du désir est-il ce qui entretient le désir ou ce qui le consumme?

Ardeur
: n.f.; empr. au lat. ardor, ardere "brûler"
I/ Chaleur vive. L'ardeur des flammes, du soleil. Sensation de chaleur, de brûlure. Les ardeurs de la soif. Le mal des ardents.
II/1/ Energie pleine de vivacité. Force, vie, vigueur, vitalité. Par métaph. Désir ardent, feu, flamme. Passion amoureuse.
2/ Mouvement passionné. Ferveur, élan, fougue, véhémence.
3/ Energie active d'une personne. Désirer ardemment, Attiser, aviver, exalter; calmer, éteindre, modérer l'ardeur de qqn. Ardeur au travail, à l'étude.

mardi 20 novembre 2007

Synopsis du cours du 12/11/07 -Ma tête, mon coeur... 2/5 - une histoire de thumos

Où l'ardeur (thumos), cette âme-sang qui anime les coeurs et les corps, est d'emblée une question de mesure:
- ardeur au combat d'un Achille (Homère, Illiade) faisant la singularité et la fougue guerrière de ce héros comme l'impétuosité démesurée qui l'emporte dans la barbarie la plus honteuse et dévoile sa faiblesse.
- ardeur érotique d'Eros, vecteur des unions les plus ferventes entre les âmes comme entre les corps (Hésiode, Théogonie), vitalité qui soude autant qu'elle emprisonne.
- ardeur émotive de Clytemnestre (Eschyle, les Oresties) liant la mort et la vie dans son geste meurtrier "gisant, il crache son âme (thumos) et le sang qu'il rejette avec violence sous le fer qui l'a percée m'inonde de ses noires gouttes aussi douces pour moi que la bonne rosée de Zeus pour les germes." (vers 1388-1392)
- ardeur intellectuelle d'Oedipe (Sophocle, Oedipe-Roi) qui marque sa volonté de justice autant que de vérité et sa fougue mortifère à se découvrir incestueux et parricide.

L'ardeur est le véhicule des intensités émotives comme le lieu d'un intense combat entre mesure et démesure.

lundi 19 novembre 2007

Synopsis du cours du 8/11/07 (suite et fin) I/ Eclats: 1/ l'expérience du désir a/ Ma tête, mon coeur...1/5

Où l'expérience la plus ordinaire du désir est celle d'un certain état de l'âme emprunt de plaisir et de douleur. Le désir comme affectivité, c'est-à-dire comme le fait d'être touché. Désirer, c'est s'éclater, c'est-à-dire autant faire l'expérience de la jouissance que celle d'une division entre douleur du manque et plaisir de la poursuite.

I/1/a/ Ma tête, mon coeur...
Où par un heureux hasard, l'antique problème de la tripartition de l'âme trouve écho dans le slam de Grands Corps Malade, Ma tête, mon coeur..., extrait de l'album Midi 20
(A écouter gratuitement et légalement sur Deezer)

Le corps humain est un royaume où chaque organe veut être le roi

Il y a chez l'homme 3 leaders qui essaient d'imposer leur loi
Cette lutte interne permanente est la plus grosse source d'embrouilles
Elle oppose depuis toujours la tête, le coeur et les couilles
Que les demoiselles nous excusent si on fait des trucs chelous
Si un jour on est des agneaux et que le lendemain on est des loups
C'est à cause de ce combat qu'i s'agite dans notre corps
La tête, le coeur, les couilles discutent mais ils sont jamais d'accord
Mon coeur est une vraie éponge, toujours prêt à s'ouvrir
Mais ma tête est un soldat qui se laisse rarement attendrir
Mes couilles sont motivées, elles aimeraient bien pécho cette brune
Mais y en a une qui veut pas, putain ma tête me casse les burnes
Ma tête a dit à mon coeur qu'elle s'en battait les couilles
Si mes couilles avaient mal au coeur et que ça créait des embrouilles
Mais mes couilles ont entendu et disent à ma tête qu'elle n'a pas de coeur
Et comme mon coeur n'a pas de couilles, ma tête n'est pas prête d'avoir peur
Moi mes couilles sont tête en l'air et ont un coeur d'artichaut
Et quand mon coeur perd la tête, mes couilles restent bien au chaud
Et si ma tête part en couille, pour mon coeurc'est la défaite
Je connais cette histoire par coeur, elle n'a ni queue ni tête
Moi les femmes je les crains autant que je suis fou d'elles
Vous comprenez maintenant pourquoi chez moi c'est un sacré bordel
J'ai pas trouvé la solution, ça fait un moment que je fouille
Je resterai sous le contrôle de ma tête, mon coeur et mes couilles.

mercredi 14 novembre 2007

Synopsis du cours du 8/11/07 - Introduction 5/5: les économies libidinales

Où il apparaît que le désir peut être affaire de pouvoir: pouvoir du désir et désir du pouvoir.
Où la violence des désirs oblige la prudence politique à soumettre la tyrannie des désirs ou à ruser avec l'égoïsme des individus (Bacon, Mandeville...etc)
Où il apparaît que le désir, élan asocial tant il ne se soucie que de soi-même, est en même temps ce qui agrège les individus entre eux: la vie est une course désir après désir où la victoire n'est délectable que si elle est à la fois expression de sa propre puissance et spectacle de la soumission de l'autre (Hobbes et Girard).
Où le désir est l'objet d'une politique: représsion plus sauvage que civilisée (Freud) ou aliénation plus rentable que morale (Marx)
Où la libération sexuelle apparaît comme un attrape-nigaud: on contrôle d'autant mieux les sujets désirants que l'on somme leurs désirs de se contenter du sexe (Foucault). Entre libertaires libidineux et libéraux ascétiques, le désir est pris au piège de sa propre libération.
Où il apparaît que le désir peut aussi prendre les habits du révolutionnaire: désirer n'est pas consommer du fantasme mais se produire soi-même.

Attraper le désir par la queue, n'est-ce pas alors se saisir du moteur du désir lui-même au risque de ne faire que tourner en rond?

mercredi 7 novembre 2007

Synopsis du cours du 25/10/07 -Introduction 4/5: sidération du désir: la force

Où il apparaît que la pensée manque le désir ou plutôt que le désir manque d'une certaine subtilité à n'être que la réponse à un manque.
Où il semble que l'amour est un mauvais exemple pour illustrer le désir: l'amour n'est pas un avatar du désir, il est le désir lui-même en tant qu'il prend forme. Ainsi de quelques unes de ses formes les plus singulières: la fides chrétienne et le fin'amor (ou die Minne) des troubadours ou encore l'eros et l'agapé des théologiens.

Où il apparaît que le désir se confond avec le plaisir. D'où la nécessité de distinguer entre le désir comme tendance finalisée par le plaisir d'objets plus ou moins honorables et le simple désir d'être ou joie que l'on éprouve à désirer: ainsi de la voluptas, vif plaisir sans cesse désiré qui permet d'échapper à l'emprise de la passion; ainsi de la delectatio morosa, ravissement érotique exempt de toute tentation de sa corruption dans la chair; ainsi du sublime comme force qui pousse à un plaisir intense ou de la perversité comme forme confuse d'un plaisir non désiré.

Où il semble que la jouissance est le droit de jouir de soi-même: le désir s'exprime alors dans un puissance d'exister propre à l'homme, une jouissance qui est moins la morne réalisation du désir que la trace de l'excès qu'il engendre. Où il apparaît que le sujet désirant se construit lui-même en agençant les objets de son désir.

Où cet exercice de la pensée qui prend le nom de philosophie est le trait commun qui unis les différents formes du désir: introduisant dans le désir le trouble de penser et la peine de vivre, l'érotique de la pensée ajoute une musique savante à la répétition des désirs, musique qui peut autant être la morne redite des mêmes plaisirs que la ritournelle continuellemen changeante d'une mélodie intime.