Lectures philosophantes

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lundi 14 décembre 2009

Synopsis du cours du 26/11/09 - Anti-aphrodisiaques pour un amour platonique

(Titre repris à l'ouvrage d'Ippolito Nievo, auteur d'un petit livre rageur narrant l'odyssée érotique grotesque de deux personnages, Incognito et Anonyme. Cf. bibliographie.)

Puisque l'amour platonique est un contre-sens fait sur la philosophie du désir dans le Banquet de Platon, il faudrait une fois encore prendre le contre-pied de ces tendances à idéaliser le désir. Mais quelques entrejambes intellectuels ne sont pas inutiles pour s'exercer à comprendre que ces tendances vont à l'encontre d'un eros entremetteur dont la puissance émane de lui seul pour ne faire du désir qu'un dépassement vers autre chose que lui-même. Ce faisant, apparaîtra sans doute combien l'amour platonique n'a de platonicien que le nom, de désirant que l'aspect et de puissance qu'artificiel.

Au titre d'une démonstration par l'absurde, voici 7 anti-aphrodisiaques comme autant de façons de tempérer, de réduire voire de nier la puissance propre au désir:
  1. La désillusion, c'est-à-dire la perte de toute illusion quant à la nature élective du désir et la puissance singulière de ce qui unit les amants. (Cf. Ippolito Nievo, Anti-aphrodisiaque pour un amour platonique.) Si l'on ne peut aimer Mlle Morette, Mlle Octavie fera tout aussi bien l'affaire; l'ardeur vertueuse de l'amant et la noblesse de l'aimé suffisent à conférer à la relation sa dignité. Un amour ne peut être que platonique dès lors que l'on ne s'attache pas aux vélléités sensibles du désir pour ne se sacrifier qu'à l'aune de ses vertus morales.
  2. la courtoisie ou l'amour chevaleresque (la cortezia des troubadours ou le fin'amor des provencaux), c'est-à-dire ce raffinement du désir qui fait de la relation entre amants une épreuve où l'éprouvé doit trouver d'autres ressources que la chair. Un amour mérite le titre de platonique s'il n'est qu'un raffinement par épuration de la dimension sensible du désir orienté vers d'autres dimensions. La chair est encore parfois consommée hélas, mais sous couvert d'une relation qui se veut grandiose.
  3. la frustration ou l'abstinence, c'est-à-dire le refus volontaire ou involontaire de la satisfaction sexuelle. L'impuissance sexuelle du désir serait le vecteur de sa puissance morale. Un amour est d'autant plus platonique que l'aboutissement sexuel est contrarié permettant de se détacher du sensible pour vaquer à l'intelligible.
  4. l'idéalisation, c'est-à-dire le processus consistant à sur-évaluer l'objet désiré. Moteur de la ferveur amoureuse, l'idéalisation élève l'objet désiré et m'oblige à être à la hauteur de cet objet. Un amour est d'autant plus platonique que l'on confère à l'objet désiré une valeur impossible.
  5. la sublimation, c'est-à-dire l'action de purifier, de transformer en s'élevant, mais aussi, en terme psychanalytique, de réorienter certains instincts vers des buts à valeur sociale ou affective plus élévée. Ainsi, du génie de Léonard de Vinci, qui, suivant Freud dans Un souvenir d'enfance, a pour cause primitive une curiosité enfantine pour les parties sexuelles féminines. Un amour est d'autant plus platonique que le désir qui nous pousse est guidé vers des satisfactions plus grandioses.
  6. l'adoration, c'est-à-dire l'affection passionnée pour quelque chose ou quelqu'un où l'affection est le chemin vers un objet désiré plus haut. Ainsi de la femme comme créature qui est un chemin vers le Créateur dans l'oeuvre de Claudel. L'amour est platonique lorsque les beautés indiquent le chemin vers le Beau lui-même et y mènent de bonnes grâces.
  7. la bienveillance (ou agapê) c'est-à-dire cette disposition généreuse à l'égard de tous et dont le moteur est la compassion. Parce que le désir est sans objet, il n'est que pure volonté, pure puissance qui l'anime sans visée particulière. L'amour platonique est la pleine puissance du désir en tant qu'il est sans objet, sans intermédiaire pour jouer les troubles-fêtes.
Jouer les acrobates de la pensée doit maintenant permettre de voir combien la puissance du désir n'est rien d'autre que cet intermédiaire entre le corps et l'âme, entre le sensible et l'intelligible, entre beautés sensibles et Beauté intelligible. Sans cette entremise, le désir n'est rien, si ce n'est la puissance extérieure à lui-même qu'on lui confère.

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