Lectures philosophantes

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mardi 15 décembre 2009

Synopsis du cours du 3/12/09 - La beauté d'Eros

Eros a de nos jours quelque peu perdu de sa superbe. Cette puissance que Platon considérait encore comme l'expérience la plus haute qu'un homme puisse vivre, cette dynamique nous poussant à vouloir posséder le bien et à engendrer dans la beauté fait aujourd'hui pâle figure: quelque chose de ce qui lie 2 êtres s'est défait lorsqu'Eros a perdu sa malice et son ingéniosité, quelque chose de ce qui anime 2 êtres s'est perdue lorsque la possession du bien n'eut plus rien de désirable et qu'enfanter relevait plus de la gestion de la natalité que d'un quelconque érotisme.
C'est qu'Eros n'est presque plus rien pour nous et sa beauté nous est invisible.
Car en effet, le nom d'Eros comme le mot désir ne servent plus à dire l'expérience la plus enrichissante que puisse vivre un être. Comme le souligne Allan Bloom dans son ouvrage posthume l'amour et l'amitié, nous sommes des solitaires associés qui font de l'engagement l'expression d'une liberté individuelle qui peut à tout moment reprendre ses droits. Par ailleurs, l'âge adulte du désir est celui des désillusions sur la beauté possible du désir: on se contente d'une relation aimante lorsque le désir n'est plus la promesse d'une quelconque beauté. Enfin, de la vision statistique du comportement sexuel (Kinsey) à la tendance à réduire le travail du désir aux seules sollicitations de la pulsion sexuelle (Freud), le désir n'est plus qu'un problème comportemental dont on norme les alentours. Le désir n'est plus qu'une catégorisation du sexuel et non l'expression d'une puissance.
Parce que nous ne savons plus dire Eros et donc plus le vivre, Allan Bloom en appelle dès lors a une éducation du désir par la fréquentation des grands auteurs (Platon, Shakespeare, Rousseau, Stendhal...) afin d'entrevoir une part de cette beauté perdue d'Eros.
Mais, si la beauté d'Eros nous échappe, c'est aussi parce que le beau n'est plus pour nous qu'une catégorie esthétique particulière. Là où pour Platon comme pour la Grèce antique en général, le beau (kalos) et le bon (agathos) étaient parents, la beauté n'est pour nous plus que la qualité obligée de ce qui est désirable. Là où pour Platon, la beauté est cette ascension du désir en possession de la pleine puissance de ses moyens, la beauté n'est désormais pour nous que cette qualité éminente qui se manifeste chez quelques bienheureux.
Dès lors, comme degré d'une puissance qui définit l'entre-deux qui anime 2 êtres, le désir est au mieux de nos jours une relation, c'est-à-dire une proximité plus ou moins concomittante entre 2 individus. Comme dynamique toujours en branle qui sans cesse rejoue ce qui est en jeu entre deux êtres, le désir n'est plus qu'un rapport plus ou moins contractualisé, plus ou moins adéquat aux aspirations de chacun pris individuellement. Comme possession du beau et du bien, l'expression du désir ne semble plus en mesure de nous porter vers la beauté, tout au plus vers un certain goût pour l'agrément. Comme désir d'immortalité par la beauté, le désir n'engendre plus par excès, mais par demande ou nécessité. Enfin, comme ascension des beautés sensibles à la Beauté intelligible, le désir ne semble plus nous permettre de nous élever, tout au plus de nous divertir.
Nul nostalgie ne rendra à Eros sa superbe; seulement la conscience qu'il n'y a de désir que si quelque chose entre deux êtres est en jeu, c'est-à-dire est l'expression d'une puissance qui sans cesse lie ces 2 êtres tout en se jouant d'eux. Intimité est sans doute un des noms de cette beauté perdue d'Eros tant nous ne semblons plus conscient que le désir est ce qui creuse entre 2 êtres le lieu de leur jouissance comme de leur tourment, le lien qui fait le bonheur et parfois le malheur d'être ensemble.

Les images sont de la photographe néerlandaise Marrie Bot dans son travail intitulé Timeless Love (2004)

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