Lectures philosophantes

Lectures philosophantes

dimanche 12 octobre 2008

Synopsis du cours du 9/10/08 - De l'inutilité de la philosophie

La philosophie a quelque chose de ridicule. Ridicule dans cette prétention éditoriale à être la pharmacie de l'âme (Etre heureux avec Spinoza, Apprendre à vivre...), ridicule dans cette prétention médiatique des philosophes télégéniques à se faire donneur de leçon (BHL, Finkelkraut...), ridicule d'une philosophie qui doit se faire simpliste pour mieux se vendre tandis que l'essentiel reste d'une abstraction particulièrement exigeante. Mais ce ridicule ne tue pas; il semble même devoir plaire.

Face à ces agitations risibles, l'opinion commune ne peut que repéter les mêmes reproches à l'égard de la philosophie: elle ne sert à rien, est inutile dans la vie quotidienne et rend idiot.
Ce ridicule ne date pas d'hier. Il relève avant tout d'un malentendu sur le rôle et la finalité de la philosophie.
L'anecdote est aussi vieille que la philosophie elle-même: "Thalès qui, occupé à mesurer le cours des astres et, regardant en la'air, était tombé dans un puits, une servante thrace toute mignonne et pleine de bonne humeur le raillat, dit-on: que de son ardeur à savoir ce qui se passe dans le ciel, il ignorait ce qui se passait sous ses pieds. Cette raillerie vaut pour tous ceux qui passent leur vie à philosophie." Platon, Théétète, 174a-b. Cette anecdote met en scène l'étrangeté du philosophe dans l'exercice de sa pensée le rend inapte à la vie. Mais qu'elle est cette étrangeté? Est-elle l'état de ceux qui passent leurs temps à philosopher? Ou est-elle l'effet en retour produit sur ceux qui ne sont plus maîtres de leur pensée?

Il s'agit dès lors de montrer que ces 3 reproches dessinent par contraste ce qui fait les qualités du philosopher.


(La philosophie ne sert à rien.)
Mais qu'est-ce que servir?
Servir, c'est être soumis aux volontés d'un maître, s'acquitter d'obligations envers une personne ou une institution. Dès lors, ne servir à rien, pour la philosophie, signifie, ne soumettre l'exercice du jugement à aucune autorité quelconque. Si Platon définit la philosophie comme la science des hommes libres, c'est pour mettre en évidence qu'elle est un certain rapport aux discours déterminé par le seul loisir d'exercer sa pensée.
Servir, c'est être au service de quelque chose ou de quelqu'un, c'est-à-dire s'acquitter de certaines tâches contre salaire. Ce faisant, l'intérêt du service rendu est déterminé par un prix. Or, qu'elle est le prix de la vérité? (Cf. M. Hénaff, Le prix de la vérité, Seuil, 2002) Il n'y a de vérité qu'au prix d'un effort, c'est-à-dire d'un renoncement propre à un exercice du jugement. Si la pensée est incommensurable à un quelconque prix, c'est du fait de sa valeur. Or, le prix est ce que rapporte une chose, tandis que sa valeur est ce que cette chose exige.
Dès lors, qu'es-ce dire que la philosophie ne sert à rien si ce n'est qu'elle n'est soumise à personne et n'est au service que d'elle-même? Autrement dit, la philosophie n'a de valeur que pour celui qui s'évertue à philosopher.


(La philosophie est inutile dans la vie quotidienne.)
L'anecdote de Thalès éclaire un 3ème sens possible du verbe "servir" tant elle tente de questionner l'objet de la pensée. Car le rire de la servante thrace est celui de ce bon sens populaire si utile à la vie, ce bon sens qui n'exerce sa pensée que de proche en proche. Or, le propre de la pensée est de se porter au-delà de ce qui est à nos pieds. Aussi, la maladresse du penseur ici-bas est le signe de son mouvement au-delà d'elle-même. Cf. Platon, Théétète, 174c-175b.
Dès lors, si la philosophie n'a pas une utilité quelconque au quotidien, c'est qu'elle ne peut trouver ici et maintenant des ressources, mais doit se mouvoir au-delà d'elle-même pour éviter la routine et la monotonie.
Servir, c'est aussi être utile à quelque chose, c'est-à-dire être l'outil d'une fonction. Aussi, si la pensée est inutile, c'est parce qu'elle ne peut être que son propre outil. Penser est vivre dès lors que l'on pense sa vie comme l'on vit sa pensée.


(La philosophie rend idiot.)
Mais si penser, c'est se servir de sa pensée, chacun ne peut-il prétendre avoir une pensée se suffisant par elle-même? Autrement dit, dire que la philosophie ne sert à rien, n'est-ce pas en même temps prétendre que chacun possède pour lui-même sa vérité? Or, qu'est-ce qui fait la singularité d'une pensée? Est-ce l'opinion d'une personne particulière ou l'exercice toujours singulier de la pensée?
Ce faisant, on est toujours l'idiot de quelqu'un. Ainsi, je peux prétendre avoir mon opinion sur tel vin comme n'importe quel autre quidam, mais pour déceler les qualités singulières de ce même vin, il me faut les compétences d'un oenologue. C'est là distinguer les idiots selon qu'il ne sont que de simples particuliers et selon qu'ils sont de singuliers personnages: l'idiotie ordinaire est ignare car elle prétend posséder pour elle-même la vérité, l'idiotie philosophique est la prise de conscience de son ignorance et la recherche d'un savoir. Tout un chacun est philosophe dès qu'il se sait ignorant et désir penser.
Aussi, si la philosophie rend idiot, c'est qu'elle oblige à renoncer à sa vérité pour tendre vers un effort commun pour penser. Car, penser est commun à tous même si chacun se comporte comme s'il avait une réflexion particulière (Héraclite).


Conclusion:
La philosophie ne sert à rien, car il faut apprendre pour soi-même et par soi-même à s'en servir.
La philosophie n'est utile à personne, car elle n'est qu'un outil pour soi-même.
La philosophie rend idiot, car elle rend moins bête.

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