De prime abord, joie et jouissance sont, pour nous, deux termes bien distincts, la joie relève d'un certain degré de satisfaction tandis que l'orgasme représente le degré ultime du plaisir physique. La joie est un état de bien-être là où la jouissance relève d'une réaction physique plaisante. Et cependant, cette distinction cache mal un appauvrissement du langage dans l'expression des manifestations les plus diverses du plaisir. Nous ne jouissons de plus rien d'autre que de nos sexes et notre joie est un bien-être qui ne vaut pas encore le plaisir sexuel. Dès lors, c'est toute une gamme de subtils variations du plaisir qui nous échappe, par manque de mots pour les dire, c'est-à-dire les vivre.
C'est ce que nous montre Spinoza dans ses définitions de la gourmandise, de l'ivrognerie, de l'avarice, de l'ambition et de la lubricité.
(Spinoza, Ethique III, Définitions 45 à 48, trad° Pautrat)
Ces 5 affects sont le désir et/ou l'amour de tel ou tel objet du désir, c'est-à-dire sont l'appétit de cet objet et/ou la joie qu'accompagne l'idée de cet objet comme cause extérieure de mon désir. On remarquera d'emblée combien ce qui est traditionnellement représenté comme des vices, c'est-à-dire l'expression immodéré d'une passion, devient chez Spinoza les variations d'une puissance de désirer relatives à tel ou tel objet. Ainsi de la lubricité qui , comme les 4 autres affects, n'a pas de contraire mais est une seule et même puissance de désirer l'union des corps, puissance qui peut varier de la chasteté à la lubricité.
Ainsi, dans ses multiples variations, le désir n'est que l'expérience de sa propre puissance, c'est-à-dire des degrés d'une capacité à agir ou à pâtir.
(Spinoza, Ethique III, Scolie de la proposition 56, trad° Pautrat)
Ce faisant, l'échelle des variations de cette puissance permet autant de penser la force des affects que le pouvoir de l'esprit. Ainsi le lubrique et le chaste exprime une même puissance de désirer l'union des corps, mais à des degrés divers. Mais là où le lubrique ne peut être que disposé à vouloir l'union des corps en présence de tel ou tel corps, le chaste se dispose à ne pas être affecté par la vue d'un corps. La force des affects commande la lubricité tandis que la chasteté est un pouvoir de l'esprit.
Toute la comédie des affects que nous décrit Spinoza dans l'explication des définitions 45 à 48 d'Ethique III, comédie qui met en scène un avare gourmand, un ambitieux secrètement ivrogne et lubrique, un peureux avare et un lubrique triste, montre combien les affects ne sont qu'une infini variation de ces puissances que sont désir, joie et tristesse.
Ce faisant, le désir est une façon de vivre qui, loin d'être évaluable à l'aune du bien et du mal, est une disposition singulière à l'égard de tel ou tel objet de désir qui est bonne ou mauvaise pour tel ou tel individu. Aussi n'y a-t-il pas de morale du désir, seulement une éthique relative à telle ou telle puissance de désirer.
Le désir n'est qu'une puissance de désirer, c'est-à-dire une façon d'être disposé ou de se disposer relativement à tel ou tel objet. Comme puissance, le désir est une infini tristesse ou une infini joie de vivre. Aussi, lorsque nous cantonnons la joie à n'être, dans son aboutissement, que le plaisir physique de la jouissance, nous en oublions de nous réjouir de tout ce qui fait notre vie. A ne jouir que de nos sexes, nous avons perdu une infini joie de vivre.
Lectures philosophantes
vendredi 23 avril 2010
mercredi 21 avril 2010
dimanche 18 avril 2010
Synopsis
Les synopsis des ateliers de lecture sur l'Ethique III de Spinoza sont consultables en suivant
les liens ci-dessous.
La force d'âme
(Synopsis de l'atelier de lecture du 11/03/10)
Le repentir et l'humilité
(Synopsis de l'atelier de lecture du 4/03/10)
En cours
L'émulation
(Synopsis de l'atelier de lecture du 25/02/10)
En cours
Le regret
(Synopsis de l'atelier de lecture du 18/02/10)
En cours
les liens ci-dessous.
La force d'âme
(Synopsis de l'atelier de lecture du 11/03/10)
Le repentir et l'humilité
(Synopsis de l'atelier de lecture du 4/03/10)
En cours
L'émulation
(Synopsis de l'atelier de lecture du 25/02/10)
En cours
Le regret
(Synopsis de l'atelier de lecture du 18/02/10)
En cours
dimanche 4 avril 2010
Synopsis du cours du 1/04/10 - Quid Corpus possit (Ce que peut un Corps) 2/2
La puissance du Corps est donc la puissance comme un certain degré de relation du Corps et de l'Esprit. Mieux, il n'y a de puissance du Corps qu'au titre d'une certaine relation du Corps et de l'Esprit par rapport à ce qui les déterminent à agir ou à pâtir.
Ce faisant, c'est au titre d'une critique de l'illusion du libre-arbitre que Spinoza invoque cette formule Quid Corpus possit, mais non pour donner la primeur de toute détermination au Corps en rejetant toute forme de dessein à l'Esprit. Au contraire, le rejet du libre-arbitre doit se faire au nom d'une juste compréhension des rapports entre le Corps et l'Esprit.
Car, c'est du désir dont il est question ici, en tant que le désir est la façon dont l'homme se rapporte au réel au titre d'un appétit ou, ce qui revient au même pour Spinoza, d'un appétit avec la conscience de l'appétit (Ethique III, définition 1). Désirer, c'est être affecté d'une certaine façon, tant du fait d'une disposition du Corps déterminé par une cause extérieure que d'une aptitude de l'esprit à produire des effets.
Aussi faut-il autant entendre Quid Mens possit que Quid Corpus possit, car ce que peut le Corps est ce que peut l'Esprit. Si l'Esprit est dans l'ignorance de ce qui le détermine à être affecté de telle ou telle façon, alors sa puissance est celle du Corps, c'est-à-dire l'Esprit est disposé à pâtir selon les affections du Corps; si par contre, par une connaissance adéquate des causes, l'Esprit est apte à agir d'une façon différente de ce à quoi le dispose le Corps, alors sa puissance est celle de l'Esprit, c'est-à-dire le Corps est disposé à agir selon les aptitudes de l'Esprit. Les appétits du Corps sont les décrets de l'Esprit non en tant que l'un détermine l'autre, mais en tant que l'un et l'autre expriment un même degré de puissance. Ici, dire le Corps et l'Esprit comme s'il étaient deux choses distinctes relève d'un faux-sens, car la puissance est ici un certain degré de relation entre Corps et Esprit, c'est-à-dire un certain degré de perfection dont est capable un individu à tel ou tel moment.
Ce faisant, désirer est affaire de puissance, c'est-à-dire de dispositions du Corps et d'aptitudes de l'Esprit. Car qui désire se dispose à pâtir ou à agir de telle ou telle façon. C'est pourquoi désirer demande de se connaitre soi-même autant que de connaître ce que peut un Corps, car désirer, c'est être déterminé à agir ou à pâtir selon nos dispositions propres. Dès lors, il ne faudrait jamais dire "je te désire" avec l'assurance d'un gaillard séducteur ou d'une sémillante séductrice, mais "je désire de telle façon" avec la prudence de celui qui sait que le désir n'est pas affaire de volonté mais de puissance. Car qui désire ne fait pas ce qu'il veut, mais ce dont il est capable. Et le risque est grand de se montrer faible alors qu'on se croyait vaillant.
Ce faisant, c'est au titre d'une critique de l'illusion du libre-arbitre que Spinoza invoque cette formule Quid Corpus possit, mais non pour donner la primeur de toute détermination au Corps en rejetant toute forme de dessein à l'Esprit. Au contraire, le rejet du libre-arbitre doit se faire au nom d'une juste compréhension des rapports entre le Corps et l'Esprit.
Car, c'est du désir dont il est question ici, en tant que le désir est la façon dont l'homme se rapporte au réel au titre d'un appétit ou, ce qui revient au même pour Spinoza, d'un appétit avec la conscience de l'appétit (Ethique III, définition 1). Désirer, c'est être affecté d'une certaine façon, tant du fait d'une disposition du Corps déterminé par une cause extérieure que d'une aptitude de l'esprit à produire des effets.
Aussi faut-il autant entendre Quid Mens possit que Quid Corpus possit, car ce que peut le Corps est ce que peut l'Esprit. Si l'Esprit est dans l'ignorance de ce qui le détermine à être affecté de telle ou telle façon, alors sa puissance est celle du Corps, c'est-à-dire l'Esprit est disposé à pâtir selon les affections du Corps; si par contre, par une connaissance adéquate des causes, l'Esprit est apte à agir d'une façon différente de ce à quoi le dispose le Corps, alors sa puissance est celle de l'Esprit, c'est-à-dire le Corps est disposé à agir selon les aptitudes de l'Esprit. Les appétits du Corps sont les décrets de l'Esprit non en tant que l'un détermine l'autre, mais en tant que l'un et l'autre expriment un même degré de puissance. Ici, dire le Corps et l'Esprit comme s'il étaient deux choses distinctes relève d'un faux-sens, car la puissance est ici un certain degré de relation entre Corps et Esprit, c'est-à-dire un certain degré de perfection dont est capable un individu à tel ou tel moment.
Ce faisant, désirer est affaire de puissance, c'est-à-dire de dispositions du Corps et d'aptitudes de l'Esprit. Car qui désire se dispose à pâtir ou à agir de telle ou telle façon. C'est pourquoi désirer demande de se connaitre soi-même autant que de connaître ce que peut un Corps, car désirer, c'est être déterminé à agir ou à pâtir selon nos dispositions propres. Dès lors, il ne faudrait jamais dire "je te désire" avec l'assurance d'un gaillard séducteur ou d'une sémillante séductrice, mais "je désire de telle façon" avec la prudence de celui qui sait que le désir n'est pas affaire de volonté mais de puissance. Car qui désire ne fait pas ce qu'il veut, mais ce dont il est capable. Et le risque est grand de se montrer faible alors qu'on se croyait vaillant.
samedi 3 avril 2010
Synopsis du cours du 11/03/10 - La force d'âme (Spinoza, Ethique III, proposition 59 et scolie)
La force d'âme ou fermeté est la source de toutes les opérations dont un individu est la cause adéquate. Elle est en cela corrélative à la puissance de désirer propre à l'individu en tant que cette puissance de désirer définit son rapport particulier au réel. Aussi, la force d'âme désigne ce que peut notre désir, c'est-à-dire en quoi la façon dont on est affecté par telle ou telle chose nous rend capable d'agir plus autant que de pâtir. Dès lors, la force d'âme est variable selon le degrés de connaissance de soi: d'une expérience vague de ce que l'on est jusqu'à une juste connaissance de sa nature, se dessine toutes les variétés de notre puissance de désirer, c'est-à-dire de notre façons d'être affecté par telle ou telle chose.
Ce faisant, la force d'âme désigne l'ambiguïté de notre connaissance de ce qui nous est propre. Aussi y a-t-il des degrés de force d'âme allant de la fermeté confuse, comme entêtement sur ce que l'on croit être notre nature, à une fermeté plus précise, car relative à une connaissance plus juste de soi. Ainsi de la modestie qui est une juste compréhension de notre rôle et notre place dans le monde. Ainsi de la clémence qui est unejuste compréhension des manques de l'autre par rapport à nos propres incapacités.
La force d'âme n'est donc pas la faculté de trouver le juste milieu entre sa façon d'être et des inclinations contraires, mais une puissance sans limite comme capacité à s'adapter le plus adéquatement au réel. Suivant Spinoza, face à la violence des passions, il s'agit moins de tenir bon que de savoir se couler sans violence dans la fluctation de l'âme face aux affections. Aussi n'en finit-on jamais avec le désir en tant qu'il s'agit toujours et encore d'une puissance d'exister par soi le plus adéquatement possible. Avoir une certaine force d'âme, c'est donc être à sa mesure, c'est-à-dire aspirer à une certaine unité entre ce que l'on est et ce que l'on est susceptible de désirer. il n'y a pas d'autre mesure à notre désir que celle que l'on est capable d'y apporter.
Ce faisant, la force d'âme désigne l'ambiguïté de notre connaissance de ce qui nous est propre. Aussi y a-t-il des degrés de force d'âme allant de la fermeté confuse, comme entêtement sur ce que l'on croit être notre nature, à une fermeté plus précise, car relative à une connaissance plus juste de soi. Ainsi de la modestie qui est une juste compréhension de notre rôle et notre place dans le monde. Ainsi de la clémence qui est unejuste compréhension des manques de l'autre par rapport à nos propres incapacités.
La force d'âme n'est donc pas la faculté de trouver le juste milieu entre sa façon d'être et des inclinations contraires, mais une puissance sans limite comme capacité à s'adapter le plus adéquatement au réel. Suivant Spinoza, face à la violence des passions, il s'agit moins de tenir bon que de savoir se couler sans violence dans la fluctation de l'âme face aux affections. Aussi n'en finit-on jamais avec le désir en tant qu'il s'agit toujours et encore d'une puissance d'exister par soi le plus adéquatement possible. Avoir une certaine force d'âme, c'est donc être à sa mesure, c'est-à-dire aspirer à une certaine unité entre ce que l'on est et ce que l'on est susceptible de désirer. il n'y a pas d'autre mesure à notre désir que celle que l'on est capable d'y apporter.
Synopsis du cours du 25/03/10 - Quid Corpus possit (Ce que peut un Corps) 1/2
D'Agoty, Ecorché de femme enceinte, 1773
L'expression de Spinoza "Ce que peut le Corps" (Qui corpus possit) a le malheur d'être une formule galvaudée. Sortie de son contexte (scolie, proposition 2, Ethique III), elle sert d'antienne à tous les contempteurs de l'esprit vite empressés de célébrer cette nouvelle lubie que serait le corps. Mais à y regarder de plus près, c'est-à-dire à replacer cette formule au coeur de la question de la relation du Corps et de l'Esprit qui occupe les propositions 1 à 3 de l'Ethique III, la perspective autant que le sens de la formule est autre.
Car la formule doit répondre d'une double difficulté: déterminer ce qu'est le Corps et déterminer ce qu'est la puissance du Corps. Or, autant notre ignorance sur ce qu'est le Corps fait de ce dernier un nouvel objet de connaissance, autant savoir qu'elle est la puissance du Corps engage chacun à mieux connaître ce que le Corps exprime de notre puissance de désirer. Autrement dit, la question de la puissance du Corps engage autant, si ce n'est plus, à une connaissance de soi-même qu'à une connaissance du Corps.
Ainsi, esquissant les déterminants d'une puissance propre du Corps, Spinoza accentue la nécessité de comprendre la structure et les fonctions du Corps autant que de savoir comment l'Esprit meut le Corps de multiples façons. Les capacités du Corps sont autant affaire de physiologie que d'entraînement. Aussi, la puissance du Corps doit immédiatement s'entendre comme la connaissance de la relation du Corps et de l'Esprit. Car ce que peut le Corps, c'est ce que peut cette seule et unique substance que sont le Corps et l'Esprit sur des modes différents.
Car la formule doit répondre d'une double difficulté: déterminer ce qu'est le Corps et déterminer ce qu'est la puissance du Corps. Or, autant notre ignorance sur ce qu'est le Corps fait de ce dernier un nouvel objet de connaissance, autant savoir qu'elle est la puissance du Corps engage chacun à mieux connaître ce que le Corps exprime de notre puissance de désirer. Autrement dit, la question de la puissance du Corps engage autant, si ce n'est plus, à une connaissance de soi-même qu'à une connaissance du Corps.
Ainsi, esquissant les déterminants d'une puissance propre du Corps, Spinoza accentue la nécessité de comprendre la structure et les fonctions du Corps autant que de savoir comment l'Esprit meut le Corps de multiples façons. Les capacités du Corps sont autant affaire de physiologie que d'entraînement. Aussi, la puissance du Corps doit immédiatement s'entendre comme la connaissance de la relation du Corps et de l'Esprit. Car ce que peut le Corps, c'est ce que peut cette seule et unique substance que sont le Corps et l'Esprit sur des modes différents.
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