Lectures philosophantes

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vendredi 23 avril 2010

Synopsis du cours du 22/04/10 - Joie et jouissance

De prime abord, joie et jouissance sont, pour nous, deux termes bien distincts, la joie relève d'un certain degré de satisfaction tandis que l'orgasme représente le degré ultime du plaisir physique. La joie est un état de bien-être là où la jouissance relève d'une réaction physique plaisante. Et cependant, cette distinction cache mal un appauvrissement du langage dans l'expression des manifestations les plus diverses du plaisir. Nous ne jouissons de plus rien d'autre que de nos sexes et notre joie est un bien-être qui ne vaut pas encore le plaisir sexuel. Dès lors, c'est toute une gamme de subtils variations du plaisir qui nous échappe, par manque de mots pour les dire, c'est-à-dire les vivre.

C'est ce que nous montre Spinoza dans ses définitions de la gourmandise, de l'ivrognerie, de l'avarice, de l'ambition et de la lubricité.

(Spinoza, Ethique III, Définitions 45 à 48, trad° Pautrat)
Ces 5 affects sont le désir et/ou l'amour de tel ou tel objet du désir, c'est-à-dire sont l'appétit de cet objet et/ou la joie qu'accompagne l'idée de cet objet comme cause extérieure de mon désir. On remarquera d'emblée combien ce qui est traditionnellement représenté comme des vices, c'est-à-dire l'expression immodéré d'une passion, devient chez Spinoza les variations d'une puissance de désirer relatives à tel ou tel objet. Ainsi de la lubricité qui , comme les 4 autres affects, n'a pas de contraire mais est une seule et même puissance de désirer l'union des corps, puissance qui peut varier de la chasteté à la lubricité.

Ainsi, dans ses multiples variations, le désir n'est que l'expérience de sa propre puissance, c'est-à-dire des degrés d'une capacité à agir ou à pâtir.

(Spinoza, Ethique III, Scolie de la proposition 56, trad° Pautrat)
Ce faisant, l'échelle des variations de cette puissance permet autant de penser la force des affects que le pouvoir de l'esprit. Ainsi le lubrique et le chaste exprime une même puissance de désirer l'union des corps, mais à des degrés divers. Mais là où le lubrique ne peut être que disposé à vouloir l'union des corps en présence de tel ou tel corps, le chaste se dispose à ne pas être affecté par la vue d'un corps. La force des affects commande la lubricité tandis que la chasteté est un pouvoir de l'esprit.

Toute la comédie des affects que nous décrit Spinoza dans l'explication des définitions 45 à 48 d'Ethique III, comédie qui met en scène un avare gourmand, un ambitieux secrètement ivrogne et lubrique, un peureux avare et un lubrique triste, montre combien les affects ne sont qu'une infini variation de ces puissances que sont désir, joie et tristesse.
Ce faisant, le désir est une façon de vivre qui, loin d'être évaluable à l'aune du bien et du mal, est une disposition singulière à l'égard de tel ou tel objet de désir qui est bonne ou mauvaise pour tel ou tel individu. Aussi n'y a-t-il pas de morale du désir, seulement une éthique relative à telle ou telle puissance de désirer.

Le désir n'est qu'une puissance de désirer, c'est-à-dire une façon d'être disposé ou de se disposer relativement à tel ou tel objet. Comme puissance, le désir est une infini tristesse ou une infini joie de vivre. Aussi, lorsque nous cantonnons la joie à n'être, dans son aboutissement, que le plaisir physique de la jouissance, nous en oublions de nous réjouir de tout ce qui fait notre vie. A ne jouir que de nos sexes, nous avons perdu une infini joie de vivre.

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