Le dernier cours de la session 2010/2011 ayant eu lieu le 16 juin, ce blog rentre désormais en vacation. Vous y trouverez toujours les anciens billets ainsi que quelques éléments d'actualités. Sans doute un jour, le prolongement de ce questionnement sur le désir trouvera à nouveau l'entrain de s'élancer à la poursuite du désir sans buter sur ce qui lui manque. Mais pour le moment d'autres choses agitent mon esprit. Thomas Hobbes ou la vie est une course.
La promenade du schizophrène: la rencontre entre le pasteur Oberlin et le poète Lenz.
Jeudi 2 juin 2011
Durée de marche: 2h45
Dénivelé: 300m Pas de difficultés particulières. Chaussures de marche conseillées Repas à tirer du sac.
Vêtement de pluie à prévoir selon la météo.
Droit d'entrée au musée Oberlin (visite guidée)= 6€50
Durée complète de la sortie (temps de trajets, temps de marche, visite du musée Oberlin, cours de philosophie sous l'arbre du Perheux...): environ 9h
La marche est ouverte à tous.
3 RDV possibles:
1/ le plus pratique, confortable, économique et écologique.
RDV à 8h en Gare de Strasbourg sous la grande verrière (au centre). Départ du train 8h15 direction St Dié, arrêt Fouday
2/ pour les obligés de la voiture
RDV à 9h en gare de Fouday. Prendre la direction St Dié, Mutzig. Sortir à Fouday, Waldersbach. Dans Fouday, prendre sur la gauche la direction Solbach et suivre l'indication Restaurant de la Gare. Se garer devant le restaurant.
3/ pour les lève-tards qui souhaiteraient gagner une heure de sommeil
RDV au musée Oberlin à Waldersbach. Même direction que pour Fouday puis suivre direction Waldersbach, Belmont. Dans un virage, prendre la direction Waldersbach et suivre musée Oberlin. Parking à proximité du temple protestant.
Atention, la marche se fait de Fouday-Gare à Fouday-Gare. Ceux qui nous rejoindraient à Waldersbach devront remonter par leur propre moyen, grâce à une carte fournie par le guide qui pense en marchant.
Le concept de machine désirante propre à Deleuze & Guattari permet de redéfinir le désir positivement comme une relation productrice à quelque chose ou à quelqu'un. Ce faisant, le désir est un processus de production (Synthèse 1) d'affects ayant un degré d'intensité significatif (Synthèse 2) propre un individu(Synthèse 3). Désirer, c'est réaliser dans le réel quelque chose qui définit notre puissance à être.
La machine célibataire se présente ainsi comme le prototype de la machine désirante. Initialement promue par M. Carrouges, la notion de machine célibataire devient donc partie intégrante du concept de machine désirante chez D&G.
Ainsi du Grand Verre ou La marié mise à nue par les célibataires mêmes... de M. Duchamp. Oeuvre transparente et cependant signifiante qui ne dévoile pas de vérité propre à l'oeuvre que celle immédiatement issue d'une simple description de l'appareillage esthétique. Par là, il faut comprendre que le sens de l'expérience désirante n'est qu'a posteriori, c'est-à-dire intrinsèque à l'expérience elle-même, rendant grossier et caricatural toute interprétation extrinsèque de l'expérience désirante.
Ainsi de la machine à torturer de La colonie pénitentiaire de Kafka, machine servant à inscrire la sentence du condamné dans sa chair même mais dont le sens de cette sentence n'apparaît qu'au fur et à mesure des opérations de la machine. Par là, il faut entendre que le célibat dans la machine désirante correspond à son autonomie productrice de sens, inscrivant cette signification dans le corps même de la machine. L'inconscient est ici machinique, c'est-à-dire immanent à l'activité de la machine désirante elle-même.
Ainsi du Surmâle d'A. Jarry, figure machinique de l'amour moderne qui se synthétise en une seule phrase: "L'amour est un acte sans importance puisqu'on peut le faire indéfiniment." Par là, il faut comprendre que nous commettons l'erreur de croire qu'une machine n'est qu'un mécanisme qui relie des parties entre elles, alors que celui-ci est une relation singulière qui trouve sa signification propre dans la façon singulière de machiner. Ainsi du record sexuel d'Ellen et du Surmâle qui, en-deça de l'exploit sportif, produit la relation singulière qui les caractérise. Aussi, l'amour est un acte qui ne tire son importance que de lui-même.
Ainsi de bien d'autres machines désirante que nous éclairerons comme la figure du séducteur (la séduction, Kierkegaard), le chevalier de Seingalt alias Casanova, la machine conjugale (le marivaudage, Marivaux) et la philosophie (ou érosophie dans le Banquet de Platon).
La schizo-analyse relève d'une analyse de la façon dont le désir investit le réel. Ce faisant, il n'y a aucune distinction à établir entre désir et réalité, dès lors que le désir est définit comme la façon de réaliser quelque chose dans le réel au titre d'un investissement qui nous est propre. La schizo-analyse est la science des machines désirantes. Aussi, le schizo-analyste ne prétend pas être autre chose qu'un mécanicien capable de distinguer entre des investissements fonctionnels ou non; le schizo-analyste, comme critique des agencements, observe et oriente les machines désirantes afin de parfaire ou de compléter ces bricolages du désir.
C'est ainsi du moins que nous comprenons la tâche négative de la schizo-analyse consistant à nettoyer l'inconscient en le libérant des représentations psychanalytiques que sont l'Oedipe, la castration, le Père... Il s'agit de libérer le processus désirant tout en permettant une juste compréhension de ce processus. Mais il s'agit moins de détruire un certain appareillage de la psychanalyse que de pousser celle-ci à comprendre l'expérience désirante au-delà des catégories sociales ou économiques qui la déterminent (la psychanalyse et le psychanalysme).
Séquence extraite d'Une femme est une femme de JL Godard (1965): "je veux un enfant dans les 24 heures"
Ainsi, il s'agit de défaire l'expérience désirante des catégories qui l'enserrent pour laisser apparaître un sens propre à l'expérience elle-même. La scène de ménage entre Emile et Angela se comprend à la fois comme le reprise théâtralisée d'un certain nombre de catégories sociales (la ménagère, le chef de famille) mais travestit par l'expérience concrète des deux amants (la ménagère maladroite...etc) Aussi, le caprice d'Angela ("je veux un enfant dans les 24 heures") relève de l'expression de son désir en dehors des catégories et ne peut trouver son sens qu'à partir de cette expérience elle-même. Il s'agit là de refaire de l'amour un processus désirant plutôt que de la voir s'enferrer dans le mariage bourgeois. Il faut tout le marivaudage du film pour qu'Emile et Angela, secondé par Paul, tiers dévoué, pour que se construise une relation où s'inclut désormais le désir d'enfant.
La schizo-analyse se veut donc aussi comme l'analyse des variations propre aux machines désirantes. Il s'agit moins d'opérer des interprétations (molaire) qui catégorisent l'expérience du réel que de montrer comment chaque expérience (moléculaire) est une expérimentation d'un certain rapport au réel qui confère par elle-même un sens qui lui est propre. La signification du désir est en ce sens toujours pratique en tant qu'elle correspond aux linéaments propre à telle ou telle expérience désirante.
Séquence extraite de Pierrot le Fou, JL Godard (1961): "Ta ligne de..."
Ce faisant, Deleuze & Guattari distingue trois types de ligne correspondant à 3 dynamiques du désir: (1) ligne de coupure ou machine sociale, (2) ligne de rupture ou processus de déterritorialisation et (3) ligne de fêlure ou machine désirante. La romance entre Ferdinand et Marianne: ce qui conduit leurs expériences désirantes convergent temporairement vers les mêmes horizons (rompre avec la société (1), fuir, vivre et s'aimer(2) ), mais machinent de façon singulière (Marianne et sa ligne de chance, Ferdinand et sa ligne de hanche). Les deux amants se désirent mais chacun machine à sa façon, de telle sorte que le terme de cette romance ne peut être que la rupture ou la mort.
La schizoanalyse est l'analyse des schizes, c'est-à-dire des divisions qui opèrent dans l'expérience désirante. Reprenant le terme freudien de Spaltung (division ou clivage), Deleuze & Guattari en travestissent son usage: les divisions ne sont pas ce qui structure notre rapport au réel, mais ce qui est produit dans notre rapport au réel. La schize résulte de l'expérience désirante, elle en découle, mais n'en provient pas.
Ce faisant, la tâche de la schizoanalyse consiste à analyser les investissements libidinaux dans le réel lui-même: comment tu fais avec tes machines? C'est quoi tes machines désirantes? Aussi, la schizoanalyse est un questionnement et non une interprétation car il n'y a aucun caractère a priori du sens de l'expérience désirante, mais toujours a posteriori. L'expérience désirante est moléculaire et non molaire, c'est-à-dire est la constitution d'un ensemble singulier qui trouve son sens dans son fonctionnement et non l'évaluation d'un ensemble quelconque à l'aune d'une unité de mesure transcendante. Il s'agit donc moins d'interpréter son désir (ça veut dire quoi? ça se rapport à quoi tout ça?) que la recherche d'une signification qui est propre à l'agencement désirant (c'est quoi tout ça? comment ça marche?...)
Ainsi, un des questionnement centrale de la schizoanalyse est la question de l'investissement(dans quoi tu investis?), c'est-à-dire la façon dont on machine son désir, dont on produit quelque chose dans le réel.
Extrait de Tout va bien, JL Godard (1972) - séquence: qu'est-ce qu'on fout ensemble?
La scène de ménage est ainsi la scène type où apparaît un clivage, une façon de fonctionner qui diffère d'un membre à un autre du couple (LUI=se retrouver, bouffer, aller au cinéma, baiser ou pas; ELLE= Lui tourne une pub, Elle s'engueule avec son rédacteur en chef, on se retrouve, on bouffe, on va au cinéma, on baise ou pas, Lui part faire le montage de sa pub, Elle rentre à l'agence). Comme prototype, la scène de ménage montre comment diffèrent et se déplacent les machines désirantes, c'est-à-dire comment fonctionne un agencement, pourquoi il ne fonctionne plus et comment il doit se transformer pour fonctionner encore.
Aussi, la schizoanalyse est l'opération critique consistant à analyser ce qui clive notre rapport au réel, c'est-à-dire à mettre à la lumière les représentations qui font le fonctionnement de notre rapport au réel. La schizoanalyse est une opération critique, c'est-à-dire d'évaluation de la fonctionnalité des machines désirantes.
La critique de la psychanalyse opérée par Deleuze & Guattari dans l'Anti-Oedipe est certes brutale, elle n'en demeure pas moins subtile. Aussi, lorsque les auteurs affirment que la psychanalyse ne comprend rien aux agencements du désir en les rabattant systématiquement sur l'Oedipe, il s'agit moins de porter tort à la psychanalyse que de la débarraser d'une ornière qui interfère avec sa pratique.
Ainsi du cas d'Herbert Graf, alias "le petit Hans", homme rendu invisible, occulté par le cas qu'il a pu représenté pour Freud et exemple même d'une réduction par la psychanalyse de l'expérience désirante au seul schème oeidipien. A la lecture du "petit Hans", comment ne pas s'étonner qu'il s'agit moins de l'analyse d'un cas que de la construction d'une scène incluant l'enfant, le père, la mère, Freud, la bonne...etc mais où chaque rôle est multiple (le père à la fois père analysant, époux bientôt divorcé et apprenti psychanalyste; la mère, à la fois, mère ambiguë, épouse délaissée et patiente analysé par Freud; Freud lui-même à la fois professeur du père, analysant de la mère et chambre d'écho des angoisses du petit Hans...etc)? De cette scène découle une interprétation (les phobies du petit Hans vues comme névrose hystérique) qui ne peut acquérir son statut clinique qu'au titre d'un coup de force.
Comment ne pas voir que son angoisse ne se construit pas seulement sur une scène où tout rôle (les êtres-vivants dotés d'un fait-pipi, la petit Mariedl, le cheval battu...) n'est pas rapporté à un seul facteur (le père), mais s'étend au-delà du cercle familial pour explorer la rue en face, le monde au-delà ou toutes l'échelle des êtres vivants (la petite Mariedl dans l'immeuble, les jolies filles de Gmunden, les omnibus tirés par les gros chevaux...etc)? Le délire du petit Hans ne se contente pas du phallus du père, mais explore tous les fait-pipi de la terre (le chien, le cheval, la girafe...etc).
Aussi, le cas du petit Hans est doublement paradigmatique pour Deleuze et Guattari: 1/ réductionnisme de la psychanalyse rapportant tout à père et mère; 2/ cas anti-oedipien par excellence tant il montre que l'enfant se construit aussi, si ce n'est surtout, au-delà du triangle familiale. Il délire plus que père et mère, il délire le monde entier.
L'anti-Oedipe est ainsi un ouvrage d'anti-psychanalyse comme ceux de Laing ou de Cooper sont des ouvrages d'anti-psychiatrie écrits par des psychiatres. C'est une oeuvre qui fait la critique de la psychanalyse pour la délester d'un appareillage théorique trop lourd pour ne pas être répresseur; mais en opérant cette critique, les auteurs entendent redonner à la psychanalyse une place éminente, celle de fer de lance dans la reconnaissance du caractère sociale du désir. Se débarrassant de l'Oedipe, la psychanalyse ne s'en trouverait-elle pas plus légère pour aborder la critique d'un inconscient propre à chaque société?
Pour cause de conseils de classe (mon labeur quotidien étant d'abord d'exercer le jugement de jeunes esprits), le cours de philosophie du 17 mars ne pourra avoir lieu. Il sera rattrapé ultérieurement selon les disponibilités de salles et d'heures.
A noter que le cours du 24 mars portera sur le chapitre 3 du livre I de l'Anti-Oedipe de D&G, chapitre inttitulé "Le sujet et la jouissance".
L'oeuvre d'Artaud est un défi pour le lecteur car sa folie est un masque qui nous empêche de le lire cette oeuvre pour ce qu'elle est vraiment. Ouvrant un écrit d'Artaud, c'est face à l'énigme d'une "aventure", expression employée par J. Derrida pour dire l'entremêlement de la vie et de l'oeuvre de l'auteur dans quelque chose qui relève d'une épreuve au limite du vivable, au limite du dicible.
Ce faisant, connaître la biographie de l'auteur a son importance pour le lire, mais il faut sans cesse veiller à ce que cette vie ne nous empêche pas de voir ce qu'Artaud en a fait par ses écrits. Ici, le rapport de la vie et de l'oeuvre connaît une complexité nouvelle, car il est impossible de les séparer, mais ni la maladie de l'auteur ne doit en empêcher la lecture, ni la lecture ne doit en oublier la maladie, de telle sorte que pour le lecteur aussi cette oeuvre presque fuyante est une expérience à part entière.
On gardera à l'esprit l'essentiel: Antonin Artaud est un fou et un aliéné. Fou au sens où il est naïf de feindre d'ignorer qu'il ne fut pas, tout sa vie, souffrant; aliéné au sens où, sans cesse souffrant, il forgea à travers son oeuvre un point de vue inégalé sur les conditions de possibilité de ce que nous nommons la santé mentale, l'oeuvre littéraire, la normalité...etc.
La psychiatrie ne nous est malheureusement d'aucun secours aujourd'hui pour redonner la place éminente au fou, place qui fut la sienne, celle du visionnaire qui , aux confins de l'a-normalité, nous montre l'arbitraire de la normalité. En ce sens, la folie est la vérité dénudée de l'homme, ce qu'est un homme une fois que lui est retiré tous les artifices d'une culture. N'est pas fou celui que l'on croit; l'homme normal a aussi sa maladie, celle de croire que son monde est le monde, celle de croire qu'il vit dans la vérité alors qu'il n'est qu'un rêve bientôt effacé.
Un pas doit désormais être franchi, un pas qui met sans dessus dessous les intuitions du sens commun, ce pas qui fut jadis désigné comme une "révolution copernicienne". Le temps est révolu où le réel nous était une réalité simple et évidente; voici venu l'âge du transcendantal où, le réel nous est devenu étrange ou étranger, sans cesse occulté par les conditions de possibilités qui nous le font connaître. nous croyons à la vérité de notre monde, mais nous ignorons trop souvent que, sous-jacent à nos représentations si sûres d'elle même, il y a le monde, c'est-à-dire un réel dont l'opulente multiplicité est rétive à nos représentations.
Ainsi de la machine désirante dans l'Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari. Elle est machine transcendantale en tant que nous désirons toujours part et à partir d'un code qui en oriente les inclinaisons: "je veux ceci" parce que ceci m'est désigné ou m'apparaît comme objet désiré...etc. Mais sous-jacente à la machine transcendantale, il ya une autre machine qui grouille de possibilités, la machine désirante empirique, en prise avec le réel sans orientation ou finalité particulière: "je délire ceci et cela, et encore..." parce que sans cesse ça travaille, ça se connecte avec l'opulente multiplicité des flux du réel, au point parfois que cette vie machinique m'emporte dans son fluide indifférencié. Alors plus rien ne marche, plus rien ne fonctionne, ou du moins rien d'autre que ce fluide qui me traverse.
C'est alors non plus le procès de production de la machine désirante, mais la station improductive du CsO (Corps sans Organes). Le désir n'est alors plus cette machination constance dans et par le réel qui confine à la réalité, mais vie machinique, immersion dans le fluide de la vie. Sans doute faut-il des yeux de chouete un peu folle pour voir dans cette machine empirico-transcendantale les états de la schizophrénie: entre excitation et apathie, la machine désirante trouve à incarner toutes ses phases, toutes ses strates dans le schizophrène. Quel statut donner alors au CsO? Ou l'enjeu devient de comprendre comment et pourquoi il devient utile, voire nécessaire de se fabriquer un CsO.
La figure du schizophrène comme être désirant par excellence a de quoi étonner le lecteur de l'Anti-Oedipe (AOe). Quel rapport entre des troubles affectifs et l'être désirant? Et pourtant, cette figure joue le rôle d'un personnage conceptuel aussi éminent que le nomade dans Mille Plateaux (1981). Le schizophrène est par ailleurs une figure transversale, ni tout à fait à Deleuze, ni tout à fait à Guattari, ni tout à fait aux deux: ainsi Deleuze travaille cette figure dès Logique du sens (1969) avec A. Artaud tandis que Guattari rencontre des schizophrènes à la clinique de La Borde. Les schizos resteront, avec le CsO (Corps sans Organes) une figure conceptuelle hétérogène tant dans l'oeuvre de Deleuze (ex. le CsO dans Logique de la perception) que dans celle de Guattari (cf. Cartes schizoanalytiques). Enfin, la figure du schizophrène, dans l'AOe, relève d'une certaine clinique du désir qui s'oppose à celle du névrosé dans la psychanalyse. Le schizo dit combien le désir est délir, c'est-à-dire pure expérience d'un désir comme connexion.
La figure du schizo n'en demeure pas moins choquante tant pour le sens commun qui ne veut y voir qu'une figure pathologique que pour les malades qui n'y voient que la figure souffrante. D'autres candidats aux postes de personnage conceptuel aurait sans doute fait l'affaire, comme par exemple, l'éxubérant, le fantasque, l'excentrique ou le déviant. Mais toutes ses figures ne font que répéter ce que dit déjà le schizo: désirer, c'est délirer, c'est-à-dire produire quelque chose dans un réel non lié par la représentation. Le schizo est la machine désirante mise à nu, l'expérience délié du réel.
1. L'exubérant
L'exubérant est celui qui affirme que sa vision poétique du monde fait apparaître, sous la réalité prosaïque du monde, l'énergie qui sourd dans le réel. Ainsi de William Blake dans le Mariage du Ciel et de l'Enfer qui, à force d'oppositions, fait émerger la figure véritable du monde comme Mal ou comme équilibre précaire voué au Mal.
William Blake, Le dragon rouge et la femme aux habits de soleil
Le langage poétique se fait ici schizophrène en tant qu'il dit combien derrière ces représentations que nous prenons pour réalité un réel plu vaste plus riche est la source de l'expérience désirante. Ici, le langage poétique se fait délire, parce que désir, mais il dit la vérité du monde parcequ'il ne se cache plus derrière les représentations prosaïque du monde.
2. Le fantasque
Le fantasque est celui qui introduit dans la réalité une dose suffisante d'imaginaire pour en travestir les codes. Ainsi des zoot suiters qui, en temps de misère, adopte le code vestimentaire de l'aristocratie, pour affirmer la supériorité de la fantaisie sur la réalité ordinaire: ce n'est pas parceque l'on est black et pauvre que l'on ne peut pas être élégant. Le zoo suiter est en cela schizophrène qu'il introduit dasn une réalité vestimantaire et donc sociale une subversion qui en déplace les codes et les usages.
Ainsi de Cab calloway qui avec son argot grossier, ses onomatopées chantées redonne du sel à un jazz noir-américain qui avait perdu quelque peu de sa vigueur revendicative.
Ainsi, des zazous qui, après guerre, (le clip ci-dessus est une reprise d'un classique du jazz des années 40), revendique par leur attitude une opposition élégante au pétainisme ambiant.
3. L'excentrique
L'excentrique est celui qui décentre les stéréotypes, les déplace pour les dissoudre. L'excentrique est en cela schizophrène entant qu'il déplace des codifications de genres sexuelles qui organise la réalité sociale. Ainsi de la figure de la "bitch" ou garce à la langue bien pendue comme Boy George. Reprenant à son compte le stéréotype de l'homosexuel efféminé, la bitch l'accentue, l'exagère en se travestissant à outrance de telle sorte que le stéréotype ne désigne plus rien.
Avatar plus récent de l'excentrique, la freak bitch avec Lady Gaga qui, non seulement travestit les codes sexuelles d'une société encore bien-pensante mais travestit aussi les codes esthétiques de l'entertainement musical, c'est-à-dire du show-bizz, du vidéo-clip, de la culture club...etc.
4. Le déviant
Le déviant est celui qui peu à peu se détache des rôles et des fonctions que lui assigne un code sociale particulier. Il dévie d'une réalité sociale pour mieux naître à soi dans un réel qu'il est désormais le seul à habiter. Le déviant est en cela schizophrène en tant qu'il met à jour l'existence d'un réel sous-jacent à ce que nous croyons être la seule réalité: sous les représentations qui font le réalité de notre monde, il y a un autre monde, un réel plus vaste que les représentations qui cherchent à le contenir.
Ainsi de Messerschmidt qui fait de l'autoportrait grimaçant une thérapeutique singulière: se pinçant à chaque fois qu'il est la proie d'une crise schizophrénique, Messerschmidt se sculpte luttant avec son mal. Il immortalise par là, à travers une oeuvre des plus singulières sans autre fonction que cette thérapeutique à usage unique, l'expérience pure d'un désir délié, fou par défaut.
Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je ne pourrais pas assurer le cours du jeudi 20 janvier 2011. Je prie les auditeurs de m'en excuser. Le cours sera rattrapé ultérieurement.
La machine désirante fonctionne suivant trois modes: connexion-disjonction-conjonction; prélèvement-détachement-reste; Libido-Numen-Voluptas. Ces 3 modes de fonctionnement n'ont de cesse de faire du désir quelque chose qui machine du réel. Aussi, le désir est-il ce qui produit du réel, le désir est machine en tant qu'il ne cesse de faire le réel comme résultat de cette machination. Il n'y a pas d'autre réalité que celle produite par le désir, il n'y a de désir qu'en réalité.
On ne cessera pas de s'étonner que le schizophrène soit pour Deleuze et Guattari le le modèle-type de cette expérience désirante (par exemple cf. I,1) et qu'il préfigure un meilleur modèle que le névrosé. Il faut cependant comprendre que là où le névrosé désigne le conflit entre le désir et la réalité, le schizophrène affirme que le désir est immanent au réel. Il témoigne dès lors non d'un conflit entre désir et réalité, mais d'un hiatus entre la réalité de l'expérience désirante et sa représentation. Ainsi du Lenz de Büchner dont la souffrance est moins d'être connecté à toutes les forces de la nature que de devoir faire rentrer cette expérience dans le cadre culturel posé par le pasteur Oberlin (exercices de classification...). Le schizophrène est en-deça de toute représentation qui organise la nature (nature/culture, nature/industrie...) et la soumet à une représentation. Il incarne l'expérience pure du réel tout entier sans le filtre des catégories qui l'organise en réalité particulière. Le schizophrène est celui qui désire-délire du réel.
Ce faisant, la figure du schizophrène désigne l'expérience authentique du désir comme délire, c'est-à-dire comme machine désirante faite de flux et de coupure. Le schizophrène est le modèle-type de la machine désirante en tant qu'il produit directement du réel, qu'il délire directement dans le réel sans passer par les finalités du désir définies par telle ou telle machine sociale.
Reste cependant à interroger la pertinence de ce choix. On connaît la critique ("vous n'avez jamais vu un schizophrène"), Deleuze et Guattari la mettant eux-mêmes en scène (cf. AOe p. 456). Mais alors, que faire du schizophrène de Deleuze et Guattari?