Lectures philosophantes

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mardi 10 juin 2008

Synopsis du cours du 12/06/08 - I/2/b/ voluptés de l'acédie 1/2

Là où le spleen peut servir à un approfondissement de l'intime dans l'expérience du désir, l'acédie, petite soeur de la mélancolie, est la note acide qui en marque la limite. L'akêdia est ainsi à la fois la négligence (sens passif) et l'indifférence (sens actif): elle est l'absence de souci de soi à la fois comme défaut de soin et comme insignifiance du soin. Notion ondoyante et complexe, l'acédie a cependant perdue de sa superbe passant dans la nosogragraphie des états de l'âme de l'idée d'un mécanisme de dépossession de soi (dans le fureur ou la piété religieuse) à la simple fatigue d'être soi. Cf. Forthomme, De l'acédie monastique à l'anxio-dépression.
L'acédie monastique est ce démon de midi qui s'empare du moine cénobite dans la chaleur du désert plongeant son esprit dans la torpeur et la volupté. Mais là où la chrétienté ne conservera que le sens passif de l'acédie au titre d'un pêchê d'âme plus monstrueux encore qu'un pêché de chair, la Renaissance préservera le sens actif d'un sombre mais fécond ennui. Ainsi de Prétarque dans son Secretum (Mon secret) animant un long dialogue entre un Saint Augustin fictif et lui-même: l'acédie est la cause autant que l'effet d'une méditation personnelle; elle est ce chagrin amoureux (cf. l'amour de Pétrarque pour Laure dans Le Canzoniere) producteur de lauriers poétiques. Il y a des douleurs amoureuses dont il vaut mieux ne pas faire le deuil tant la mélancolie peut être féconde.
Bien qu'occultée, l'acédie n'en demeure pas moins une pathologie de l'âme moderne. Elle est ce sentiment de détresse propre à la civilisation occidentale, cette routine liée à l'habitude et qui enferme le désir dans le seul renouvellement des consommations. Il s'agit dès lors de retrouver le sens actif de cet état d'âme comme tedio opulent (ennui opulent. Cf. Eugenio d'Ors, Oceanografia del tedio), c'est-à-dire ce trouble qui tourmente le sujet désirant et cette insatisfaction qui le pousse à désirer encore et toujours.

Ce faisant, l'acédie est un outil pour ceux qui veulent se faire une âme. Elle est un vice spirituel, c'est-à-dire une disposition allant à l'encontre de l'ordre social, moral ou religieux. Elle est ce décalage, ce pas de côté que fait le sujet désirant en prise avec son propre désir. Elle est le vecteur d'une épreuve nécessairement intime de soi-même. Aussi désirer n'est plus simplement jouir, mais cultiver ce vice inommable consistant à se faire une intimité.

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