Lectures philosophantes

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mardi 10 juin 2008

Synopsis du cours du 29/05/08 - I/2/a/ les délices du spleen 1/2

La mélancolie a mauvaise presse. Elle est un terme lourd de sens et d'usure qui évoque les atmosphères sombres et les araignées au plafond. Elle est un terme ambiguë abandonné par la psychiatrie moderne (cf. par exemple Pinel (1801) ou Esquirol (1820) ) du fait de son imprecision quant à la nature physique ou psychologique de cette affection. Le spleen souffre de la même mauvaise réputation. "Les vapeurs anglaises" comme les nomment Voltaire ou Diderot désignent à la fois un état négatif de tristesse, une langueur toute british.

Et cependant, l'analyse du terme fait apparaître le rôle du spleen dans l'expérience du désir. Ainsi, chez Shakespeare, le spleen est un signal de l'âme traduisant l'emprise d'un état de l'âme et désignant le marqueur d'une intensité: le spleen est autant malaise qu'élan. Il est une force primitive qui emporte ou domine l'âme. Cf. Richard III, acte V, sc. 3: "Que notre ancien cri de vaillance nous inspire la rage des dragons de flammes (the spleen of fiery dragons)." Le spleen est donc l'affect des luttes de pouvoir, le lieu d'un conflit où il est à la fois cause d'une dynamique et ayant pour effet un certain trouble. Il en va de même d'Eros: "Conçu de l'ennui (spleen), né de la folie; ce petit vaurien d'aveugle qui trompe tous les yeux parce qu'il a perdu les siens, qu'il juge à quelle profondeur je me débats dans mon amour." As you like it, acte IV, sc.1. Ici, le désir est un jeu d'équilibre entre malaise et jouissance, entre ruse et vérité, entre embarras et lucidité.
Le spleen traduit donc l'ambivalence du désir comme expérience d'une intensité: il n'est pas projection vers un objet désiré quelconque mais flux de forces comme désir du désir lui-même. Autrement dit, le désir est ici une force qui surpasse son propre but.

Le spleen acquiert cependant un sens singulier avec Baudelaire: affect complice du dandy, il est ce sentiment trouble naissant du désir de se détacher de la médiocrité ordinaire. Plus que sentiment moral dans l'ordre logique de la conquête du pouvoir, il est un affect a-logique, une coupure par rapport à l'ordre familier des choses et des êtres. Le spleen est un style de vie où domine la surexcitation.
Ce faisant, le spleen est moins un état pathologique que le jeu auquel se livre le sujet désirant avec lui-même. (Ex. Le jet d'eau dans les épaves (éd° 1866) des Les Fleurs du Mal). Il est le privilège aristocratique de ceux qui savent se faire les comédiens d'eux-mêmes. Ainsi de la définition oxymorique du dandy dans Peintre de la vie moderne décrit comme un "soleil couchant; comme l'astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie."
"L'Héautontimorouménos", poème des FLeurs du Mal, est la mise en scène de ce "miroir pervers" (J. Starobinsky) que le sujet désirant s'impose à lui-même. Il est ce dispositif réflexif où le sujet désirant plonge en lui-même: l'emprise de la conscience sur son propre désir est dès lors obstacle à la simple jouissance innocente et moteur de la vitalité de son désir, autant jeu amoureux quelque peu sadique qui se désinvestit des plaisirs pour le seul mouvement du désir lui-même, autant si ce n'est plus jeu avec soi-même (cf. le titre du poème) où le sujet déirant s'impose la torture de convertir ses plaisirs en désir. Tout sujet désirant doit se doter de cette "vorace ironie" qui a pour but de le persécuter lui-même par aspiration à être autre chose que simplement soi.

Ce faisant, un sujet désirant n'est pas la simple répétition à l'identique des mêmes plaisirs, mais le flux du désir en tant qu'il projette toujours vers autre chose que soi-même. Désirer, c'est avoir la fausse modestie de reconnaître que le plaisir n'est pas un argument.

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