Lectures philosophantes

Lectures philosophantes

mercredi 31 décembre 2008

Cinéma et philosophie - séquences pour le cours du 25/11/08

Esthétique du cinéma - la musique


Séquence 1: le Requiem de Mozart



Séquence 2: Stanger in the Night, F. Sinatra




Séquence 3: I want a boy for Christmas, (source non identifiée et non présente au générique)





Séquence 4: Jazz Suite n°2, Waltz 2, D. Shostakovich
Le double générique d'Eyes Wide Shut




Séquence 5: Baby did a bad thing, C. Isaac

lundi 29 décembre 2008

Aphorismes

L'aphorisme est l'expression la plus brève possible d'une pensée. Comme énoncé, elle est la posture d'une pensée; comme figure, elle suppose l'exercice de la pensée pour la dénouer.



vendredi 26 décembre 2008

Cinéma et philosophie - synopsis du cours du 18/11/08

Le diaporama ci-dessous ne reprend que les principales étapes du cours.



Textes à venir

Aphorismes

L'aphorisme est l'expression la plus brève possible d'une pensée. Comme énoncé, elle est la posture d'une pensée; comme figure, elle suppose l'exercice de la pensée pour la dénouer.


vendredi 19 décembre 2008

Cinéma et philosophie - L'in-complétude

L'in-complétude dans le mythe d'Aristophane dans le Banquet de Platon est un concept suffisament singulier et spécifique dans son registre de discours pour rendre presque impossible toute forme d'illustration par un film. On pourra cependant espérer produire quelques rapprochements à l'aide des films suivants...
  • Sur la question du sexe comme genre, on pourra voir
le film argentin tout en pudeur de Lucia Puenzo, XXY (2007)


ou un novateur film trans par le maître du navet Ed Wood, Glen or Glenda? (1953)



  • Sur le manque comme moteur du désir, on pourra voir
la comédie sentimentale de Woody Allen, Vicky Cristina Barcelona (2008)


ou l'inclassable film de science-fiction sentimentale d'A. Resnais, Je t'aime je t'aime (1968)




La liste demeure incomplète et est en attente de vos propositions...

jeudi 18 décembre 2008

Absence

Pour des raisons indépendantes de ma volonté (les souffrance du corps obligent parfois à soumettre sa pensée à des considérations plus terre à terre), je ne pourrai pas faire cours le jeudi 18/12/08. Ce cours sera rattrapé ultérieurement.

Toutes mes excuses aux auditeurs pour ce contre-temps.

Le prochain cours aura lieu le jeudi 8/01/09 et portera sur le concept de possession chez Sartre (texte à transmettre) avec un détour nécessaire par la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel.
A noter que le samedi 10/01/09 aura lieu la seconde projection à l'Odyssée dans le cadre de "Cinéma et philosophie". Est invité à dialoguer avec nous autour du film "La Grande Bouffe" de M. Ferreri, M. Emile JUNG, chef étoilé du Crocodile à Strasbourg.


Joyeuses fêtes à tous et à l'année prochaine.
Banquetez à foison! Et profitez de vos ivresses pour former de beaux discours sur Eros!

lundi 15 décembre 2008

Bibliographie - Sexe, genre et sexualité

Parmi les auteurs français travaillant sur le déplacement des frontières entre sexe, genre et sexualité, on pourra consulter en particulier:

L. Irigaray, Speculum de l'autre femme, Paris, Minuit, 1974.
M. Le Doeuff, L'étude et le rouet, Paris, le Seuil, 1989 ainsi que Le sexe du savoir, Paris, Aubier, 1998.
S. Kofman, Le respect des femmes, Paris, Galilée, 1989 ou encore L'énigme de la femme, Paris, Livre de Poche, 1994.
G. Fraisse, La différence des sexes, Paris, PUF, 1996.
F. Collin, Le différend des sexes, Paris, Pleins Feux, 2000.
E. Dorlin, L'évidence de l'égalité des sexes. Une philosophie oubliée du XVIIe siècle, Paris, PUF, 2006.

...et l'incourtounable S. De Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949.

Pour un panorama assez complet des théories féministes et des apports des gender studies dans les pays anglo-saxons, on ne saurait conseiller de lire l'ouvrage de
E. Dorlin, Sexe, genre et sexualités, Paris, PUF-Philosophie, 2008.

Synopsis du cours du 11/12/08 - Digression: Sexe, genre et sexualité 1/2

Parmi les usages multiples d'un concept, il en est un qui, sous ses airs désinvoltes et légers, permet de mieux voir notre réel. Aussi, une digression est un jeu sérieux visant à confronter notre notion de sexualité avec le concept platonicien d'in-complétude.

1/ Sexualité - notre paysage intellectuel.
Le mot "sexe", selon une étymologie possible (lat. secare), désigne d'emblée la division d'une espèce en mâle et femelle. Le sexe est donc ce qui sépare, divise en 2 genres une même espèce. Le sexe biologique, comme le fait d'appartenir, par sa naissance, à tel ou tel genre, induit dès lors aussi une certaine conformation de l'identité sexuelle à tel ou tel rôle social.
Ce faisant, du sexe découle le genre, c'est-à-dire les attributs du féminin et du masculin. De cette sexuation selon une détermination autant naturelle (sexe biologique) que culturelle (sexe social) découle, dans nos schémas de pensée, la sexualité et ses pratiques. Autrement dit, nous ne jugeons de la sexualité qu'à l'aune de la finalité qui la détermine. Ainsi de l'artificielle distinction entre hétérosexualité et homosexualité qui ne s'entend que si l'on fait de la sexualité cette pratique érotique visant un but naturel, c'est-à-dire la reproduction.
Par ailleurs, la sexualité désigne l'attirance érotique entre deux êtres. Ce faisant, le sexuel ne se cantonne pas au génital. A l'instar de ce que Freud a mis en évidence dans les 3 essais sur la sexualité (1905), le désir sexuel peut prendre des tours et détours ingénieux qui évite à l'acte sexuel de se limiter aux "frottements d'un boyau et l'éjaculation, avec un certain spasme, d'un peu de morve." Marc-Aurèle, Pensées, VI, 13. Dès lors, la sexualité, suivant une autre étymologie possible (lat. satis) vise à la satisfaction au-delà des déterminations naturelles et culturelles qui l'endiguent. Le sexuel est cet élan qui ne cesse travailler tant le corps que le psychisme.
Enfin, on pourra s'étonner que l'essentiel du discours sur la sexualité oscille aujourd'hui entre le pornographique et le sexologique. Ce discours sur la sexualité se fait scientia sexualis, c'est-à-dire objet de savoir autantqu' instrument de pouvoir sur les pratiques. La nécessité de tout dire et de tout voir qui caractérise notre époque agit paradoxalement comme une injonction à tout faire et à tout avouer.Ce faisant, ce discours dit tout sur les pratiques mais reste muet sur le désir lui-même. Du sexe, nous savons tout des façons de jouir, mais rien de ce qui anime cette volonté de jouir.

Que reste-t-il de ce paysage assez grossier de nos façons habituels de penser le sexe lorsque celui-ci est confronté au concept platonicien d'in-complétude?

2/ Sexe, genre et sexualité à l'aune du concept d'in-complétude chez Platon.
  • Là où le sexe est pour nous ce qui sépare en 2 genres distincts (mâle/femelle), chez Platon la division des êtres primitifs (mâle/mâle; femelle/femelle; mâle/femelle) ne hiérarchise pas les genres entre eux. Aussi, l'in-complétude est, dans le mythe d'Aristophane, la description d'une dynamique du désir sans assignation d'identité sexuelle tandis que, pour nous, le genre oblige nécessairement à se compléter avec l'autre sexe.
  • Notre sexe biologique nous assigne à une certaine identité sociale et une certaine typologie sexuelle (normal/anormal; nature/contre-nautre...). Autrement dit, notre identité sexuelle est déterminée par notre nature. A l'inverse, chez Platon, la source même de notre identité est mythologique, la sexualité n'étant qu'un expédient qui permet l'union entre les êtres séparés. Notre désir ne cesse d'être poussé par quelque chose qui nous demeure mystérieux.
  • Pour nous, la distincion des genres hiérarchise les sexualités, l'hétérosexualité paraissant plus normale que l'homosexualité. Il n'y a de sexualité que dans l'union du différent. A l'inverse, suivant Platon, nous sommes tous homosexuels, c'est-à-dire attiré par la moitié de moi-même.
  • Notre vision de la sexualité met certes l'accent sur le sexuel comme forme sauvage du désir que cependant le génital s'empresse de domestiquer. A l'inverse, chez Platon, la satisfaction n'est qu'un moyen dérivé de contenter un désir d'accomplissement. Aussi, le génital n'est qu'un substitut à un désir de fusion qui cherche à s'accomplir par tous les pores de la peau.
  • Pour nous, la finalité de la sexualité est commandée par autre chose que la simple satisfaction. Fondée en nature, la sexualité a une destination reproductive, quand bien même cette destination ne se réalise pas. Au contraire, chez Platon, la sexualité est seconde par rapport à la fusion des êtres. Mieux, la sexualité est un stratagème pour nous détourner de ce désir orgeuilleux de ne faire plus qu'un.
  • Enfin, pour nous, le discours sur la sexualité est normatif en tant qu'il vise à déterminer ce qui est normal et anormal. A rebours, par son mythe, Platon pose la question de notre identité telle qu'elle se construit à travers notre désir. Là où nous, nous ne pouvons parler du sexe sans dire ce qu'il doit être, Platon nous invite à réfléchir sur ce que le désir a fait de nous et fera de nous.

dimanche 14 décembre 2008

Textes pour le cours du 18/12/08 - Hegel, Phénoménologie de l'esprit, IV, 3.



Pour introduire au concept de possession dans l'Etre et le Néant de Sartre, il est utile et nécessaire de se rapporter à la source même de sa dynamique conceptuelle, en l'occurence la Phénoménologie de l'esprit de Hegel.

lundi 8 décembre 2008

Rappel

Le synopsis du cours du 20/11/08 a été complété ici.

dimanche 7 décembre 2008

Outils - l'incomplétude



Au-delà de sa simple valeur patrimoniale, un concept vaut en tant qu'outil.
Plus que connaître l'histoire de tel ou tel concept, il convient d'apprendre à se servir d'un concept comme instrument de sa propre pensée.

Texte à venir

Synopsis du cours du 5/12/08 - L'incomplétude 2/2

Le mythe d'Aristophane (192b-193e) a ainsi pour but de traduire ce désir archaïque qui ne cesse de nous travailler et nous pousse à désirer ce qui nous manque.
Ce désir archaïque se manifeste lorsque, par hasard, nous rencontrons cette moitié qui nous manque, nous éprouvons alors un "extraordinaire sentiment d'affection, d'apparentement et d'amour". Ces 3 sentiments distincts mettent en évidence la généalogie des êtres séxués: le trouble qui nous affecte est un rappel de la division opérée par Zeus et vaut comme mise au jour du manque qui nous traverse; l'apparentement nous révèle à nous-mêmes l'incomplétude qui est la nôtre; enfin, l'amour qui nous saisit est désormais cette volonté d'union avec ce qui nous manque. L'effet de l'incomplétude est donc de mettre au jour une détermination de notre désir jusque là inconnue.

Le désir d'union est ce qui travaille le désir tout en lui demeurant inconnu. Une certaine ambivalence dichotomie s'installe alors dans la dynamique du désir. L'insistance du mythe sur l'incapacité des êtres divisés à exprimer ce que veut leur désir souligne combien la volonté d'union des êtres divisés demeure incomplète tant que leurs désirs n'ont pas eux-mêmes exprimer un désir de fusion. Mais ce désir s'exprime déjà dans la volonté de jouir ensemble dans l'union des corps.

Ainsi faut-il distinguer entre le désir de fusion, finalité ultime du désir et l'union, recours possible du désir. Se superpose ainsi une dynamique principielle de désir comme volonté de fusion des êtres et un mécanisme dans le désir qui permet à chaque moitié de s'unir à l'autre. Mais l'union n'est que l'expédient de la fusion. Aussi, eros est un pharmokon, c'est-à-dire autant un remède qu'un poison: il permet l'union des corps en vue de la fusion des êtres, mais l'accomplissement des êtres peut trouver à se suffire dans la satisfaction des corps. Qui cherche l'accomplissement dans la fusion trouve à se satisfaire dans l'union des corps; qui jouit de l'union des corps peine à y voir l'accomplissement promis par la fusion.

Ce faisant, le mythe d'Aristophane ne nous présente pas seulement, au titre d'un récit explicatif, une détermination du désir comme manque, mais aussi une description du mécanisme qui ne cesse de se jouer du manque qui le travaille.

Cf. aussi le billet Outils pour le schéma du concept d'incomplétude.

dimanche 30 novembre 2008

Synopsis du cours du 20/11/08 - le discours d'Aristophane dans le Banquet de Platon

Le mythe d'Aristophane dans le Banquet de Platon est le récit explicatif de la génèse d'un certain mécanisme du désir qui ne cesse de travailler les êtres. La lecture du mythe exige à la fois de rendre compte du récit lui-même mais aussi de mettre en évidence ce que le récit montre.

Pour une remarquable lecture illustrée (malgré quelques écueils) du mythe, cf. ce lien.


Le discours d'Aristophane (Banquet 189c-192b) est le récit d'un état antérieur de l'humanité. A l'origine, nous étions non seulement de genre différent (mâle/femelle/androgyne) mais aussi d'aspect différent (semblable à une sphère).
Parce que cette "perfection" physique nous rendait trop orgueilleux, Zeus nous divisa en deux parties. Mais parce que chacune de ces parties se morfondait sans l'autre, Apollon façonna le corps des 2 moitiés en transportant les organes sexuels vers l'avant afin de rendre possible l'union même temporaire des deux êtres. Depuis, chaque moitié erre dans l'espoir de pouvoir s'unir à ce qui lui manque.

Dessin extrait du Banquet illustré par J. Sfar, éd° Bréal

On retiendra, pour toute lecture, que le mythe d'Aristophane contient 6 jalons:
  • Eros, comme puissance naturelle, est un dieu philanthrope car il apporte la guérison à un mal. Autrement dit, le désir est un expédient à quelque chose.
  • Le mythe vaut comme généalogie du sexe comme genre et comme sexualité. Comme genre, il sert de récit explicatif à la typologie des pratiques; comme sexualité, il exprime le désir d'union de ce qui a été séparé (fonction1).
  • Le mythe détermine la sexualité selon une finalité extérieure à l'union elle-même, l'engendrement ou la satiété.
  • La reproduction est une fonction dérivée de la sexualité (fonction 2), fruit de l'imperfection des êtres divisés.
  • Le mythe est le récit d'un conflit entre les hommes et les dieux. La division est l'effet de l'orgueil des êtres primitifs, la possibilité de réunir les 2 moitiés, un remède à ce mal. La fusion est le désir de la perfection divine, l'union est le remède à notre imperfection.
  • La division des êtres primitifs vaut comme modèle explicatif du mécanisme du désir: l'attirance pour un être est un effet de l'incomplétude dont on est issue.



Pour poursuivre:

En quoi la vidéo ci-dessous reprend à son compte le discours d'Aristophane dans le Banquet de Platon ?

Cinéma et philosophie - séquences pour le cours du 4/12/08

Eyes Wide Shut de S. Kubrick
séance 3: les ambiguités de l'érotisme


Séquence 1: l'orgie à Somertone


vendredi 28 novembre 2008

Cinéma et philosophie- Eyes Wide Shut, séquence 1

Eyes Wide Shut, S. Kubrick (1999)
Séquences pour le cours du 18/11/08

Séquence 1: le premier rêve d'Alice




Séquence 2: le rêve de Bill


lundi 24 novembre 2008

Absence

Pour des raisons professionnelles, il n'y aura pas cours le jeudi 27/11/08. Ce cours sera rattrapé ultérieurement.

dimanche 16 novembre 2008

Textes pour le 20/11/08 - Le discours d'Aristophane, le Banquet, Platon


Le discours d'Aristophane dans le Banquet de Platon, lu, avec maestria, par J.F. Balmer et mis en image par P. Szidon, Production Arte-France, M. Pokosh Film.

Synopsis du cours du 6/11/08 - l'érotisme grec 2/3: les figures d'Eros 1/2

Mosaïque orné d'Eros, Anonyme, entre 1er et 3ème siècle ap J.C., Musée Archéologique d'Ephèse

L'eros doux-amer

Eros apparaît, dans la littérature grecque en général, comme une force caractérisée par son épanchement, voire ses emportements . Il est autant associé à l'eau, au vin, au sommeil, au rêve et à l'inspiration qu'à l'ivresse, la divination ou la colère. Eros est symbole du renouveau de la vie et des épanchements du désir comme il peut être cet archer espiègle qui empoisonne de ses charmes les jeunes amoureux et les emporte dans les affres de la passion.
Ainsi de ce fragment où Eros est à la fois l'élan du poète vers l'objet de son désir et l'amertume naissant du rejet par une fière dignitaire de Lesbos. "Amour, aux cheveux d'or qui me jette la balle à la couleur de pourpre, m'appelle pour jouer ave la jeune fille aux beaux xouliers brodés. Mais elle, qui s'en vient de Lesbos la cité, a vu mes cheveux blancs. Cela ne lui dit rien. Elle regarde ailleurs, vers d'autres que les miens."Anacréon, frag. 358
Eros s'incarne donc dans cette figure du "doux-amer" (Sappho) tant il est source d'un élan comme blessure de ou par cet élan.
"Pour les jeunes gens, Cyrnos, jusqu'au moment où il es tcomblé,
amour est piquant et doux, il est ravissant et cruel.
Car, si tu le satisfais, c'est la douceur. Mais si, le poursuivant,
tu en l'atteins pas, c'est la peine la plus grande de toutes
."
Théognis, 1353 et sq.
Les traits poétiques d'Eros le figure donc comme cette intensité capable de porter le sujet désirant vers l'objet de ses désirs comme de l'emporter au-delà de lui-même.

Aussi convient-il de garder à l'esprit que les Grecs ne condamne guère le désir en tant que tel mais ses emportements. C'est par conscience de sa puissance et de son omniprésence qu'il cultive le sens de la mesure.



L'eros séducteur

Cette force ambivalente qu'est l'Eros s'incarne dans 3 figures classiques de la littérature grecque: l'Eros-lion, l'Eros-chasseur et l'Eros effeminé. Eros y est cette force sauvage, c'est-à-dire cette puissance qui anime et porte vers ailleurs comme cet excès qui emporte au-delà de soi-même.
L'Eros-lion, à travers la figure de Paris (cf. par exemple chp. III de l'Iliade d'Homère) ou celle d'Alcibiade (cf. La Vie d'Alcibiade de Plutarque) s'y présente comme ce fauve habité par un instinct qui fait sa force et sa fureur. Le désir y est une force qui nourrit le désir comme qui détruit le sujet désirant.
L'Eros-chasseur représente cette figure anti-sociale qui ne poursuit que son propre plaisir. Le désir y est transgression car il porte au-delà du conformisme social. Eros y est un archer toujours à l'affut. Mais l'arc, dans les joutes homériques, est une arme inadaptée au conbat des héros; aussi, Pâris est-il un héros inaccompli, amant habile auprès d'Hélène mais combattant peu glorieux tant le champ de bataille réclame le face-à-face et la force brute plutôt que la ruse et l'habilité. Il en va de même d'Alcibiade au bouclier d'or et d'ivoire, luxe inadapté à la brutalité guerrière mais miroir de sa puissance érotique.
L'Eros-efféminé incarne quant à lui les tendances sensuelles et égoïstes du séducteur. Il est semblable au chasseur en tant que l'élan érotique qui le porte le fait stratège capable de vaincre tous les obstacles. Aussi, le séducteur est-il toujours glorifié par son habilité tandis que sa proie est humiliée car elle s'est soumise au puissance du désir. (cf. les subtilités comiques des épanchements adultères dans les Thesmophories d'Aristophane v. 479-489). Alcibiade, par son culte de l'ambiguïté sexuelle et de la provocation, y figure l'amant languissant et inactif (un moichos ("pisseur") comme le décrit Aristophane dans les Acharniens, c'est-à-dire quelqu'un dont le membre est voué au seul écoulement du plaisir).

Ce faisant, eros est, dans l'érotique grecque, une figure multiple et équivoque. Le désir y est admiré pour sa force comme moquer pour ses dérives. Le désir y est une force qui transporte et qui, parfois, emporte.

Cinéma et philosophie - à suivre...


Synopsis du cours du 6/11/08 - l'érotisme grec 1/3: remarques sémantiques

Il est de ces choses étranges qu'elle réclame plus qu'une simple tolérance pour l'exotique pour arriver à les saisir et à les comprendre. Nous jugeons de proche en proche au point parfois d'oublier qu'il y a des ailleurs.
Il en va ainsi de l'érotisme grec. Pour qui "érotisme" est synonyme de sexualité et d'intimité, il peut paraître difficile de percevoir combien l'eros grec irradie toutes les dimensions de la vie humaine, y compris ses usages publics. Pour qui l'érotisme est affaire de convenance et de censure, il ne peut que paraître étrange combien même l'obscène est affaire de société. Aussi est-il incompréhensible pour nous que les Grecs condamne l'homosexualité mais tolère la pédérastie, qu'il sacralise le mariage mais justifie la prostitution et l'adultère, qu'il ritualise le rapt ou le viol mais honore les femmes dans le mariage.

Ce faisant, il convient de rendre à l'erôs grec toute sa polysémie. Plus proche de notre" amour" dans l'usage de notre langue, le mot erôs désigne autant les relations amoureuses qu'amicales, les relations intimes que sociales, les relations des hommes aux dieux que des hommes entre eux. Ce n'est qu'au titre d'un mésusage de la langue et une confusion des sources et des notions que l'on a parfois distinguer trois sortes de désir chez les Grecs, l'erôs (ou désir sexuel), la philia (ou amitié) et l'agapê (ou désir désintéressé). Pire, c'est voir des oppositions là où les Grecs n'ont de cesse de conjuguer ses différentes dimensions du désir.
Il en va de même de la distinction entre erôs et philia qui est moins une opposition dans la langue qu'un constant déplacement des usages. Ainsi, autant chez Aristote, la philia, c'est-à-dire le fait de désirer et d'être désiré en retour, contient toutes les dimensions du désir au point qu'erôs n'en est qu'une de ses espèces, autant chez Platon, c'est la dissymétrie entre l'amant et l'aimé qui fonde l'aspiration à désirer et à être désiré au point que la philia n'est qu'un espèce de l'eros. Moins qu'une opposition de thèses, il faut y voir le constant recoupement des différentes dimensions du désir.

Ce faisant, il convient de retrouver une part de cette variété des uages et des sens d'erôs pour éclairer peut-être la pauvreté de notre désir. Aussi, Platon, dans le Banquet 205b, fait remarquer par l'intermédiaire de Diotime combien toute la richesse de l'erôs se voit réduite à la seule désignation des relations de l'amant et de l'aimé en obligeant à user d'autres termes pour signifier le désir de l'argent, de la gloire ou du savoir. Est-ce dire alors qu'il n'y a de véritable philo-sophie que sous la forme d'une éro-sophie?

samedi 8 novembre 2008

Cinéma et philosophie - Eyes Wide Shut, S. Kubrick





Projection et dialogue ciné-philosophique le samedi 15 novembre 2008 à 16h, Cinéma l'Odyssée.


Cours "Cinéma et philosophie" de l'Université populaire Européenne portant sur ce film les mardis 18 et 25/11 et 2/12/08, Cours St Louis, Quai Finkwiller. Inscription préalable à l'Université Populaire en suivant ce lien.

lundi 3 novembre 2008

Préambule au cours du 6/11/08

"Le christianisme donna du poison à Eros: il n'en mourut pas, mais dégénéra en vice."
Nietzsche, Par delà le bien et le mal, Maximes et interludes, §168

Illustration d'Augustin Carrache extraite de L'Arétin d'Augustin Carrache ou Recueil de postures érotiques d'après les gravures à l'eau-forte par cet artiste célèbre, éd° La nouvelle Cythère, Paris, 1798 - BNF, Réserve des livres rares, Enfer Smith-Lesouëf 4

dimanche 26 octobre 2008

Plan - désir comme manque

Un concept, en philosophie, ne surgit pas tout armée de la tête d'un philosophe. Il est une virtualité du langage courant qui prend consistance dans une oeuvre singulière. En ce sens, il faut suivre les reliefs du langage courant pour arpenter les possibilités de sens propre à un problème philosophique et se servir des concepts philosophiques pour éclairer l'étendue et la profondeur de ces problèmes.
Ainsi, le désir comme manque appelle-t-il son territoire et le plan, une façon de l'arpenter.



Synopsis du cours du 23/10/08 - Introduction 2/2

A définir le désir comme la conscience d'une tendance qui porte à vouloir tel ou tel objet réel ou imaginé, le manque n'y est pas que l'effet d'un affect mais aussi une opération de l'esprit qui porte vers ce qui nous manque. Le manque est donc autant l'émotion qui n'a de cesse de troubler le sujet désirant mais aussi l'effort et la conscience de cet effort qui porte vers l'objet du manque.
Ce faisant , le manque est volonté, c'est-à-dire la faculté de désirer un objet réel ou imaginé où le manque intervient comme détermination de l'objet de la volonté autant que comme effort vers l'objet de la volonté. Aussi, dire "je te veux" peut être l'effet d'un manque à avoir (je te veux, toi parmi d'autres car je ne t'ai pas encore) ou l'effet d'un manque à être (je te veux toi car, sans toi, je ne suis pas tout à fait moi).
La définition du désir comme manque au titre de la volonté est donc marquée d'ambivalence. C'est là tenter de retrouver une part de cette ambiguité que contenait initialement la notion dans son usage grec.
Aussi, la volonté est-elle à la fois un certain état de l'âme, lié à la représentation de l'objet désiré, état qui porte vers cet objet. Autrement dit, la volonté est cette faculté toujours circonstancielle à vouloir une chose dans un contexte particulier, et une aspiration tantôt active, tantôt passive, selon la nature de la détermination de l'objet désiré.
Qu'est-ce alors que désirer? est-ce vouloir ou s'émouvoir? Est-ce conquérir ou ne pouvoir résister? Est-ce la force de tendre vers quelque chose ou la faiblesse de céder à un manque?

Il revient à Nietzsche d'avoir réintroduit, dans la notion moderne de volonté, une part de cette complexité perdue. Cf. txt. Par delà le bien et le mal, §19
Ainsi en va-t-il du désir comme de la volonté comme mouvement passionnel où le sujet est autant voulant que voulu. A penser le désir comme manque, désirer est autant voulu (ce que je désire) que subi (ce qui me pousse à désirer), autant action que passion.

Toute l'ambivalence du désir tient donc en ce que le manque est à la fois vecteur et moteur du désir. Il est ce qui excite le désir, c'est-à-dire ce qui commande son effort, comme ce qui soumet cet effort au manque. A ce titre, on pourra voir avec le concept d'inquiétude chez Leibniz combien le manque est l'aiguillon du désir: le désir est ce je-ne-sais-quoi qui me pousse et m'attire vers les objets de ma volonté.

Par ailleurs, comme l'indique Nietzsche, toute la singularité de la volonté tient dans cette ambivalence: vouloir, c'est croire commander à cette faculté qui ne fait qu'obéir aux objets de la volonté. Il en va de même du désir comme manque: le manque est autant cette activité qui motive le désir que cette passion qui l'attire vers l'objet désiré. A ce titre, on pourra montrer avec le concept de vouloir-vivre chez Schopenhauer combien le désir est, par le manque, soumis à sa propre nécessité.

Enfin, c'est au titre d'un mouvement passionnel que nous traduirons la définition du désir comme manque. Car en effet, la passion est autant passivité (émotion) qu'activité (agitation) et souffrance (épreuve). Ce faisant, le manque est la passion du désir, c'est-à-dire cette inquiétude qui ne cesse de soumettre l'expérience du désir à sa propre ambivalence. A ce titre, on pourra montrer combien l'usage que fait Descartes du concept de passion est de nature à forger une définition du désir comme manque où le manque n'apparaît pas comme l'essence même du désir mais comme un certain état du désir.

mardi 21 octobre 2008

Synopsis du cours du 16/10/08 - Introduction 1/2

L'éclatement polysémique du terme "désir" (cf lien) semble se résorber dans le manque. En effet, les multiples éclats du désir contiennent tous quelque chose du manque qui anime le désir.

Ainsi de la faim qui, dans toutes les variations de son mécanisme, abrite en son sein le manque.









Ce faisant, la définition du désir comme manque est autant un lieu commun du langage ordinaire qu'un topos de la philosophie. Le manque semble être la pierre d'achoppement de l'ensemble des discours sur le désir. Que faire dès lors de ce manque? Nier cette dimension du désir, c'est manquer quelque chose du désir; identifier le désir au manque, c'est manquer quelque chose du désir. C'est là un effet de sidération du désir qui ne cesse de se dérober à la pensée.
A définir le désir comme la conscience d'une tendance qui porte vers un objet réel ou imaginaire, on notera que le désir se distingue en sujet et objet du désir. Dans cette division, le manque est autant une force d'entraînement vers l'objet désiré que la force d'attraction de cet objet.


Ainsi de l'attirance qui est autant le résultat d'un effort de séduction du sujet désirant que l'effet des attraits de l'objet désiré. Autrement dit, le manque à l'oeuvre dans le désir est une propriété de l'objet désiré comme un état du sujet désirant; et, dans le sujet désirant, il est l'action qui porte vers l'objet désiré (volonté) ou la passion qui agite le sujet désirant (affect ou pathos).

Aussi, s'agiisant du manque comme affect du sujet désirant, il convient de distinguer dans le manque entre un moindre avoir (manque de...) et un manque à être (manque à...). Dire "tu me manques", est-ce alors dire que l'on regrette l'absence de l'objet de son désir ou que sans lui, le sujet désirant n'est plus tout à fait lui-même?
Dès lors, on pourra voir que le manque est ce mouvement du désir qui le porte vers autre chose que lui-même en vue de combler cette abscence. Le manque est le moteur de l'impulsion du désir. Notion d'incomplétude chez Platon. Par ailleurs, on pourra montrer que l'inertie du désir exige une certaine économie de la possession. Puisque désirer, c'est manquer de quelque chose, désirer, c'est vouloir posséder cette chose, mais la posseder, c'est ne plus la désirer. Concept de possession chez Sartre. Enfin, on pourra voir que la dynamique du désir exige que celui-ci se porte toujours vers autre chose que sa propre attente . Autrement dit, un objet désiré manque d'autant plus que rien en lui ne m'attire plus que le fait qu'il m'est interdit de le désirer. Notion d'obscénité chez Bataille.

jeudi 16 octobre 2008

Questionnaire sur le manque

Questionnaire sur la place du manque dans nos façons de penser.
A l'usage de ceux qui souhaitent évaluer la place du manque dans leur désir.

1/ La multiplicité des désirs est-elle un obstacle au bonheur?

2/ Peut-on ne désirer que le nécessaire?

3/ La jalousie est-elle une preuve d'amour?

4/ Une vie sans passion vaut-elle la peine d'être vécue?

5/ Qu'est-ce que se faire désirer?

6/ Faut-il trouver l'âme-soeur pour être heureux?

7/ Etre désirable, est-ce une contrainte ou une obligation?

8/ Peut-on désirer la répétition des mêmes plaisirs?

9/ N'y a-t-il de désirable que ce qui est interdit?

10/ Le désir est-il affaire de volonté?

11/ Etre charmant, est-ce naturel?

12/ Y a-t-il une limite à l'obscénité?

13/ ...etc

lundi 13 octobre 2008

Cinéma et philosophie - synopsis du cours du 7/10/08 2/2

Loin de n'être qu'une illustration des concepts philosophiques, il convient donc d'éclairer les moyens propres au cinéma pour exprimer quelque chose de l'ordre de la pensée.

2. Cinéma et philosophie: une expérience philosophique du cinéma

On reconnaît en Cinéma 1 et Cinéma 2 de G. Deleuze, le premier grand ouvrage de philosophie sur le cinéma. Mais loin d'être une simple théorie du cinéma, cet ouvrage est une interrogation remarquable sur le statut d'une image dans la pensée. Deleuze y distinguer entre les images ne rendant compte que du lien sensori-moteur entre les choses (image-mouvement), c'est-à-dire de l'action et de la réaction des protagonistes d'une scène, des images relevant d'une perception du temps (image-temps), c'est-à-dire traduisant une expérience singulière.
Ainsi de la séquence finale de Stromboli (1950) de Rossellini.


Une lecture classique de cette séquence consiste à y voir une révélation (ascension comme épreuve purificatrice jusqu'à la révélation de la grâce divine). Certes, cette interprétation symbolique a toute sa légitimité, mais elle ne rend pas compte du mouvement même de la pensée dans le film. Le film de Rossellini ne fait pas simplement symboliquement allusion à la révélation, mais fait voir ce qu'est l'épreuve pour Karen (Ingmar Bergmann) d'une émotion dont la beauté est si terrible qu'elle nous emporte.

Ainsi des plans exprimant le tumulte qui s'empare du volcan et de Karen








Ainsi des plans montrant l'ascension du volcan autant que l'épreuve intérieure pour Karen









Ainsi du montage qui ne cesse de faire circuler ensemble le vécu de vie de Karen (mariage avec Antonio) avec le paysage (rudesse de la vie sur l'île, beauté sauvage du volcan) et l'épuisement des forces de Karen (force, compréhension et courage).











Aussi, c'est dans une relation de séduction réciproque qu'il faut envisager les rapports entre cinéma et philosophie. Le cinéma n'illustre pas des concepts philosophiques, la philosophie ne rend pas compréhensible des images cinématographiques. Mais cinéma et philosophie oeuvre à penser, chacun à sa façon.

dimanche 12 octobre 2008

Synopsis du cours du 9/10/08 - De l'inutilité de la philosophie

La philosophie a quelque chose de ridicule. Ridicule dans cette prétention éditoriale à être la pharmacie de l'âme (Etre heureux avec Spinoza, Apprendre à vivre...), ridicule dans cette prétention médiatique des philosophes télégéniques à se faire donneur de leçon (BHL, Finkelkraut...), ridicule d'une philosophie qui doit se faire simpliste pour mieux se vendre tandis que l'essentiel reste d'une abstraction particulièrement exigeante. Mais ce ridicule ne tue pas; il semble même devoir plaire.

Face à ces agitations risibles, l'opinion commune ne peut que repéter les mêmes reproches à l'égard de la philosophie: elle ne sert à rien, est inutile dans la vie quotidienne et rend idiot.
Ce ridicule ne date pas d'hier. Il relève avant tout d'un malentendu sur le rôle et la finalité de la philosophie.
L'anecdote est aussi vieille que la philosophie elle-même: "Thalès qui, occupé à mesurer le cours des astres et, regardant en la'air, était tombé dans un puits, une servante thrace toute mignonne et pleine de bonne humeur le raillat, dit-on: que de son ardeur à savoir ce qui se passe dans le ciel, il ignorait ce qui se passait sous ses pieds. Cette raillerie vaut pour tous ceux qui passent leur vie à philosophie." Platon, Théétète, 174a-b. Cette anecdote met en scène l'étrangeté du philosophe dans l'exercice de sa pensée le rend inapte à la vie. Mais qu'elle est cette étrangeté? Est-elle l'état de ceux qui passent leurs temps à philosopher? Ou est-elle l'effet en retour produit sur ceux qui ne sont plus maîtres de leur pensée?

Il s'agit dès lors de montrer que ces 3 reproches dessinent par contraste ce qui fait les qualités du philosopher.


(La philosophie ne sert à rien.)
Mais qu'est-ce que servir?
Servir, c'est être soumis aux volontés d'un maître, s'acquitter d'obligations envers une personne ou une institution. Dès lors, ne servir à rien, pour la philosophie, signifie, ne soumettre l'exercice du jugement à aucune autorité quelconque. Si Platon définit la philosophie comme la science des hommes libres, c'est pour mettre en évidence qu'elle est un certain rapport aux discours déterminé par le seul loisir d'exercer sa pensée.
Servir, c'est être au service de quelque chose ou de quelqu'un, c'est-à-dire s'acquitter de certaines tâches contre salaire. Ce faisant, l'intérêt du service rendu est déterminé par un prix. Or, qu'elle est le prix de la vérité? (Cf. M. Hénaff, Le prix de la vérité, Seuil, 2002) Il n'y a de vérité qu'au prix d'un effort, c'est-à-dire d'un renoncement propre à un exercice du jugement. Si la pensée est incommensurable à un quelconque prix, c'est du fait de sa valeur. Or, le prix est ce que rapporte une chose, tandis que sa valeur est ce que cette chose exige.
Dès lors, qu'es-ce dire que la philosophie ne sert à rien si ce n'est qu'elle n'est soumise à personne et n'est au service que d'elle-même? Autrement dit, la philosophie n'a de valeur que pour celui qui s'évertue à philosopher.


(La philosophie est inutile dans la vie quotidienne.)
L'anecdote de Thalès éclaire un 3ème sens possible du verbe "servir" tant elle tente de questionner l'objet de la pensée. Car le rire de la servante thrace est celui de ce bon sens populaire si utile à la vie, ce bon sens qui n'exerce sa pensée que de proche en proche. Or, le propre de la pensée est de se porter au-delà de ce qui est à nos pieds. Aussi, la maladresse du penseur ici-bas est le signe de son mouvement au-delà d'elle-même. Cf. Platon, Théétète, 174c-175b.
Dès lors, si la philosophie n'a pas une utilité quelconque au quotidien, c'est qu'elle ne peut trouver ici et maintenant des ressources, mais doit se mouvoir au-delà d'elle-même pour éviter la routine et la monotonie.
Servir, c'est aussi être utile à quelque chose, c'est-à-dire être l'outil d'une fonction. Aussi, si la pensée est inutile, c'est parce qu'elle ne peut être que son propre outil. Penser est vivre dès lors que l'on pense sa vie comme l'on vit sa pensée.


(La philosophie rend idiot.)
Mais si penser, c'est se servir de sa pensée, chacun ne peut-il prétendre avoir une pensée se suffisant par elle-même? Autrement dit, dire que la philosophie ne sert à rien, n'est-ce pas en même temps prétendre que chacun possède pour lui-même sa vérité? Or, qu'est-ce qui fait la singularité d'une pensée? Est-ce l'opinion d'une personne particulière ou l'exercice toujours singulier de la pensée?
Ce faisant, on est toujours l'idiot de quelqu'un. Ainsi, je peux prétendre avoir mon opinion sur tel vin comme n'importe quel autre quidam, mais pour déceler les qualités singulières de ce même vin, il me faut les compétences d'un oenologue. C'est là distinguer les idiots selon qu'il ne sont que de simples particuliers et selon qu'ils sont de singuliers personnages: l'idiotie ordinaire est ignare car elle prétend posséder pour elle-même la vérité, l'idiotie philosophique est la prise de conscience de son ignorance et la recherche d'un savoir. Tout un chacun est philosophe dès qu'il se sait ignorant et désir penser.
Aussi, si la philosophie rend idiot, c'est qu'elle oblige à renoncer à sa vérité pour tendre vers un effort commun pour penser. Car, penser est commun à tous même si chacun se comporte comme s'il avait une réflexion particulière (Héraclite).


Conclusion:
La philosophie ne sert à rien, car il faut apprendre pour soi-même et par soi-même à s'en servir.
La philosophie n'est utile à personne, car elle n'est qu'un outil pour soi-même.
La philosophie rend idiot, car elle rend moins bête.

mardi 7 octobre 2008

Cinéma et philosophie - Synopsis du cours du 7/10/08 1/2

La relation entre le cinéma et la philosophie est ambiguë. On peut certes supposer que le cinéma dispose d'une évidente capacité à véhiculer des idées; on peut aussi supposer que la philosophie a les ressources nécessaires pour expliquer un film. Mais c'est là faire abstraction de la singularité de chacun de ces modes d'expression: le cinéma relève de la logique des images et la philosophie de celle du langage.

1. Cinéma et philosophie: pédagogie du concept par l'image.
On peut ainsi voir dans le cinéma un moyen de manifester une idée: ce qui fait la consistance d'un film est en effet moins l'action ou le récit que l'idée qui s'y développe. Le cinéma traite ainsi de thèmes et d'idées qui peuvent être philosophiques. La force d'un film est alors d'emporter le spectateur dans le mouvement de démonstration d'une idée.
Ainsi de Forrest Gump de R. Zemeckis qui illustre la distinction entre volonté et entendement chez Descartes. Exemple emprunté à O. Pourriol. Cf. Bibliographie et son blog.
Descartes, dans la IVe Méditations Métaphysiques, définit la volonté comme une faculté infinie à l'image et la ressemblance de Dieu. Tant sous la forme de l'expérience du libre-arbitre que comme idée d'un infini ample et étendu, la volonté se heurte à la finitude de l'entendement. En effet, celui-ci est la faculté de concevoir les idées de façon claire et distincte dès lors que l'on perçoit les chaînes de raison qui les relient entre elles. Aussi, selon Descartes, l'esprit humain est déchiré entre une volonté qui peut tout vouloir et un entendement qui ne peut pas tout concevoir.


Forrest Gump est l'incarnation de cet entendement limité mais dont la volonté est infinie. Ainsi de la séquence de la course: Forrest ne conçoit le but de sa course que de proche en proche (limite de la ville, du comté, de l'Etat, du continent...) tout en conservant cette capacité infinie à courir sans raison encore et toujours. Il est l'affirmation nue d'une pure volonté, à rebours de ceux qui le suivent et qui cherchent, chacun à sa façon (sens de la vie, miracle du commerce...), une raison à sa course.
Aussi, R. Zemeckis illustre à merveille, par son divertissant idiot du village, les abstraites thèses métaphysiques de Descartes.

Mais n'est-ce pas là subordonner le cinéma à la philosophie? N'est-ce pas là donner un supplément d'âme à des images qui , sans cela, plongeraient dans la vulgarité de l'évidence sensible? Le cinéma ne peut-il pas se passer de la philosophie pour penser?
Or, bien que d'un formalisme esthétique assez classique, les choix esthétiques de R. Zemeckis traduisent tantôt le passage des limites


(image 1 et 2 - plans dynamiques pour effacer la frontière)


















tantôt la traversée indéfinie d'un espace (plan 3 et 4- plans-paysages traversés de diagonale ou d'horizontale).
















Exemples parmi d'autres de la possibilité pour le cinéma d'exprimer une pensée par une image sans recourir à un concept.

dimanche 5 octobre 2008

Cinéma et philosophie - calendrier


avec l'aimable participation du cinéma

Série1 - Désir et réalité
Dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut est le récit d'une nuit d'errance érotique pour William Harford (Tom Cruise) et sa femme (Alice). Ce film envoutant, à sa façon, traite du problème du désir: en effet, qu'est-ce qui fait la réalité d'un désir? Faut-il prendre ses désirs pour des réalités ou croire en la réalité de ses désirs?
Où il apparaît que le désir est bien malaisé quand le rêve se confond avec la réalité.

Projection le samedi 15/11/08 vers 16h
(horaire précis à vérifier auprès de l'Odyssée)

Cours mardi 18 et 25 novembre ainsi que le mardi 2 décembre 2008 à 20h, Cours St Louis, quai Finkwiller.




Série 2 - Désir et besoin
Projection le samedi 10 janvier 2009 vers 16h
Cours les mardis 13, 20 et 27 janvier 2009 à 20h, Cours St Louis.

Série 3 - Désir et concupiscence
Projection le samedi 14 mars 2009 vers 16h
Cours les mardis 17, 24 et 31 mars 2009 à 20h, Cours St Louis.

Série 4 - Désir et pulsion
Projection le samedi 16 mai 2009 vers 16h
Cours les mardis 19 et 26 mai ainsi que le mardi 2 juin 2009 à 20h, Cours St Louis.

dimanche 7 septembre 2008

Cinéma et philosophie - principe et organisation.


"On s'est souvent interrogé sur la nature de l'illusion cinématographique. Nous redonner croyance au monde, tel est le pouvoir du cinéma moderne (quand il cesse d'être mauvais). Chrétiens ou ahtées, dans notre universelle schyzophrénie, nous avons besoin de raisons de croire en ce monde." G Deleuze, Cinéma 2, L'image-temps

Confronter les images du cinéma et les concepts de la philosophie. Un concept peut-il aider à voir une image? Une image peut-elle rendre visible un concept?
Chaque séance consiste en la projection d'un film suivie d'un dialogue sur la façon dont le film traite, à sa façon, d'un thème philosophique.

Cours d'introduction
le mardi 7 octobre 2008, 20h, Cours St Louis (Quai Finkwiller)
Première projection, courant novembre à l'Odyssée.
3 séances d'analyses
en novembre-décembre, le mardi soir, à 20h au Cours St-Louis.

Autres projections et séances d'analyses à partir de janvier 2009.

jeudi 28 août 2008

Le désir attrapé par la queue 2/4: la passion du manque



Courbet, L'origine du monde, 1866

Université Populaire Européenne, année 2008/2009
Jeudi, 19h - Palais U
Premier cours le jeudi 9/10/08


Concepts à explorer: le manque, la possession, l'obscénité, l'inquiétude, la volonté, l'espoir, l'ennui...
Auteurs à interroger: Platon, Sartre, Bataille, Leibniz, Schopenhauer, Descartes...


Après avoir identifié les ambiguités de l'expérience du désir, le cours de cette année s'attardera sur un vecteur essentiel du désir, en l'occurence le manque.

Et en effet, qu'est-ce que désirer si ce n'est vouloir ce que l'on n'a pas ou ce que 'lon n'est pas. Désirer, est-ce alors poursuivre ce qui nous manque? D'où cet impossible paradoxe: lorsque tu n'es pas là, j'espère tant te revoir et te désire d'autant plus; mais lorsque tu es enfin là, mon désir s'estompe d'être ainsi comblé et je m'ennuie.


Bibliographie:
Platon, le Banquet, trad° Jacottet, éd° Livre de Poche
Descartes, Traité des passions de l'âme, éd° GF-Flammarion

jeudi 3 juillet 2008

En sommeil - Fin de la session de cours 2007/2008



Ce blog, comme son auteur, prend quelques vacances, histoire de laisser sa pensée paresser ailleurs.

G. Courbet, Paresse et luxure ou Le sommeil , 1866


Reprise de son activité courant septembre.



Synopsis de mes cours de philosophie à l'Université Populaire Européenne pour l'année 2008/2009 ici.


Merci à tous les auditeurs pour leur écoute, leur patience et leur fidélité.



Bibliographie - la mélancolie.

Oeuvres:
J. Ferrand, De la maladie d'amour ou la mélancolie érotique, éd° Anthropos, 2001. Consultable en ligne ici.
R. Burton, Anatomie de la mélancolie, 2 volumes, éd° J. Corti, 2000. Consultable en ligne ici et.
Baudelaire, Les fleurs du mal.

Littérature secondaire:
Starobinski, La mélancolie au miroir, éd° Julliard, 1989
Klibansky, Panofsky et Saxl, Saturne et la mélancolie, éd° gallimard, 1994
H. Prigent, Mélancolie, les métamorphoese de la dépression, Découvertes Gallimard, 2005.

Bibliographie - l'acédie

Oeuvres:
Sainte-Beuve, Volupté
Huysmans, A rebours

Littérature secondaire:
B. FortHomme, De l'acédie monastique à l'anxiodépression, histoire philosophique de la transformation d'un vice en pathologie, éd° Synthélabo, 2000
Article en ligne de Forthomme ici.
A. Larue, L'autre mélancolie, Acedia ou les chambres de l'esprit, éd° Hermann, 2001
Article en ligne de Larue sur Huysmans ici.

Le désir attrapé par la queue

Désirer, c'est se faire désirant. Prendre son désir en main. C'est la saisie par le sujet désirant de son propre désir non pour répéter les jouissances mais pour agencer les réjouissances.
Mais l'attraper ainsi, c'est aussi le perdre, car l'essentiel n'est pas là. C'est une saisie malaisée du sujet désirant par lui-même. Se saisir du désir, c'est en tordre toute la spontanéité et le naturel.
Prendre le désir par la queue, c'est s'en saisir et le voir fuir ailleurs. A croire que le désir n'est jamais là où il faut, car il porte toujours vers ailleurs.

lundi 30 juin 2008

synopsis du cours du 26/06/08 - Conclusion: érotique et érotomanie.

"Je suis érotique sans doute, mais non point érotomane" Ahténée, Deipnosophistes, XIII, 599e

L'érotique est par définition relative à la pratique du désir. Elle est la façon dont un sujet désirant se rapporte à son propre désir. Là où l'érotisme ne désigne qu'un genre de représentation ou de discours se rapportant à l'amour physique, l'érotique est un certain rapport au désir.

Ce faisant, érotique et érotomanie se confondent en tant qu'elles sont toutes deux une relation à son propre désir, mais là où l'érotique est celle du sujet désirant à ce désir qui le porte, celle de l'érotomane est polarisée par l'objet désiré. L'érotomanie est ainsi l'emprise d'une représentation de ce que doit être le désir et non un travail du désir dans et par la pensée. L'érotomanie est, dans la mélancolie érotique, cet état pathologique du désir où le lien entre sujet et objet du désir est entièrement orienté et déterminé par l'objet lui-même. Il n'y a de manie en matière de désir que lorsque le sujet désirant s'efface devant l'objet désiré. Ainsi de la jalousie: elle est ce sentiment d'attachement à un être qui pervertit le désir lorsque celui-ci devient obsession de la possession. Cf. cph. 25 de la mélancolie érotique de J. Ferrand.
L'érotomanie est alors la corruption de l'érotique: là où l'érotique est la construction d'un affect par le sujet désirant lui-même, l'érotomaie est le fait, pour le sujet désirant, de subir cet affect. Aussi, l'érotique et l'érotomanie se distinguent autant qu'elles se confondent: désirer est la tentative du sujet désirant de se rapporter à son propre désir sans se laisser emporter par la seule représentation obsédante de l'objet désiré.

Dès lors, faire l'expérience du désir, c'est se faire désirant, c'est-à-dire articuler son désir à l'exercice de sa pensée. Devenir sujet désirant de son propre désir, c'est nier que le désir ne soit que le manque d'un objet, que le désir ne soit qu'une réalité naturelle et spontanée et enfin qu'il ne soit déterminé que par le plaisir que l'on éprouve (Les 3 contresens sur le désir par Deleuze. Cf. Dialogues, C. Parnet, G. Deleuze). Désirer, c'est se faire désirant, c'est-à-dire qu'il est l'exercice de la pensée qui découle d'une expérience, il est le trouble qui naît du fait de se vivre comme sujet désirant.

mardi 24 juin 2008

Synopsis du cours du 19/06/08 - voluptés de l'acédie 2/2

L'acédie fait de l'expérience du désir une expérience dé-subjectivante. Comme langueur, elle découle de la poursuite redondante des plaisirs où demeure inconnu la nature du désir lui-même: désirer n'est alors plus que jouir de ce qui est à sa portée (double registre du proche et du propre). Mais comme vertu réflexive, l'acédie est l'entreprise d'une re-subjectivation, c'est-à-dire la conquête de soi par la dépossession de soi: désirer, c'est quitter le petit quant à soi de ses plaisirs pour laisser enfin le désir nous porter ailleurs, c'est reconquérir en soi cette part d'inconnu qui nous fait devenir autre . L'acédie est donc cet instrument de décentrement dans l'expérience du désir qui fai de celle-ci la découverte singulière de vers où nous porte notre désir.

Ainsi du Volupté de Sainte-Beuve, confession d'un adultérin "sur un point si chatouilleux de l'âme." Amaury s'ennuie au fil des pages, perdant goût à l'étude et plongeant peu à peu dans les voluptés de l'acédie comme un anachorète. La perte progressive de l'intérêt qu'il porte à l'amour pour la marquise de Couaen le pousse à la conquête tortueuse de Mme R***; mais même ses élans sadiques ne suffisent à raviver un désir aride. Multipliant au fil des rencontres les expériences avec des prostitués dans "une allégresse toute sarcastique", Amaury fait l'expérience d'une jouissance sans assouvissement.
Le chapitre XX du Volupté décrit alors les différentes attaques que subit Amaury constamment distrait par son morne ennui (jeux innocents, promenandes rêveuses, courses prétextes à la bonté ou à l'aumône) pour finalement subir l'ultime assaut mettant à bas sa volonté. Il aura manqué à Amaury de faire l'expérience de son désir: enfermé dans la seule résonnance de ses voluptés, il en perd la saisie troublante de ce qui le porte et le transporte.

Ainsi du A rebours de Huysmans, aventure de l'aménagement d'une chambre à coucher en cellule monastique. S'articulant autour du chapitre 6, il est le récit d'une anachorèse ratée. Se voulant dandy tapissier retiré du monde et grand célibataire détourné de Dieu, Des Esseintes est peu à peu en prise avec le démon de midi qui ronge progressivement sa volonté le plongeant dans une langueur autant spirituelle (incapacité à la lecture, à la contemplation de ses Goya ou Rembrandt, à la poursuite d'une idée dans le "grouillement de sa cervelle"...) que physique (malaise du corps, passion érotique pour Miss Urania, fantasmes autour de la prostituée ventriloque...). Ainsi de la nourriture, sollicitation quotidienne qui rappelle ce solitaire au monde tant le frivolité de ses désirs factices ne peuvent oublier l'urgence d'un besoin vital. Cf. l'épisode de la tartine, chp. 13 du A Rebours. Le désir ne peut être sans objet au risque de n'être plus que le plaisir pervers de son propre désir, perdant par là même le moteur essentiel du désir.
A rebours est dès lors un récit à l'envers. Il montre la conquête ratée de son propre désir en lui-même et par lui-même, car retiré du monde, le désir sans but ne peut trouver son mouvement que d'une perversion des moyens de jouir de soi-même.

Désirer est alors se faire désirant, c'est-à-dire de "traîner les choses en longueur". C'est la puissance propre au sujet désirant à ne pas céder trop vite à son bon plaisir pour en garder toute la verve. Est-ce dire alors que désirer n'est pas jouir sans entraves, mais cultiver la difficulté pour mieux s'exciter?

Pied de Nez - De la fécondité de la mélancolie

samedi 21 juin 2008

vendredi 13 juin 2008

Textes pour le cours du 19/06/08 - b/ voluptés de l'acédie 2/2

A consulter

Volupté, Sainte-Beuve (Wikisource)
A rebours, Huysmans (source CNAM avec moteur de recherche)

mardi 10 juin 2008

Synopsis du cours du 12/06/08 - I/2/b/ voluptés de l'acédie 1/2

Là où le spleen peut servir à un approfondissement de l'intime dans l'expérience du désir, l'acédie, petite soeur de la mélancolie, est la note acide qui en marque la limite. L'akêdia est ainsi à la fois la négligence (sens passif) et l'indifférence (sens actif): elle est l'absence de souci de soi à la fois comme défaut de soin et comme insignifiance du soin. Notion ondoyante et complexe, l'acédie a cependant perdue de sa superbe passant dans la nosogragraphie des états de l'âme de l'idée d'un mécanisme de dépossession de soi (dans le fureur ou la piété religieuse) à la simple fatigue d'être soi. Cf. Forthomme, De l'acédie monastique à l'anxio-dépression.
L'acédie monastique est ce démon de midi qui s'empare du moine cénobite dans la chaleur du désert plongeant son esprit dans la torpeur et la volupté. Mais là où la chrétienté ne conservera que le sens passif de l'acédie au titre d'un pêchê d'âme plus monstrueux encore qu'un pêché de chair, la Renaissance préservera le sens actif d'un sombre mais fécond ennui. Ainsi de Prétarque dans son Secretum (Mon secret) animant un long dialogue entre un Saint Augustin fictif et lui-même: l'acédie est la cause autant que l'effet d'une méditation personnelle; elle est ce chagrin amoureux (cf. l'amour de Pétrarque pour Laure dans Le Canzoniere) producteur de lauriers poétiques. Il y a des douleurs amoureuses dont il vaut mieux ne pas faire le deuil tant la mélancolie peut être féconde.
Bien qu'occultée, l'acédie n'en demeure pas moins une pathologie de l'âme moderne. Elle est ce sentiment de détresse propre à la civilisation occidentale, cette routine liée à l'habitude et qui enferme le désir dans le seul renouvellement des consommations. Il s'agit dès lors de retrouver le sens actif de cet état d'âme comme tedio opulent (ennui opulent. Cf. Eugenio d'Ors, Oceanografia del tedio), c'est-à-dire ce trouble qui tourmente le sujet désirant et cette insatisfaction qui le pousse à désirer encore et toujours.

Ce faisant, l'acédie est un outil pour ceux qui veulent se faire une âme. Elle est un vice spirituel, c'est-à-dire une disposition allant à l'encontre de l'ordre social, moral ou religieux. Elle est ce décalage, ce pas de côté que fait le sujet désirant en prise avec son propre désir. Elle est le vecteur d'une épreuve nécessairement intime de soi-même. Aussi désirer n'est plus simplement jouir, mais cultiver ce vice inommable consistant à se faire une intimité.

Synopsis du cours du 29/05/08 - I/2/a/ les délices du spleen 1/2

La mélancolie a mauvaise presse. Elle est un terme lourd de sens et d'usure qui évoque les atmosphères sombres et les araignées au plafond. Elle est un terme ambiguë abandonné par la psychiatrie moderne (cf. par exemple Pinel (1801) ou Esquirol (1820) ) du fait de son imprecision quant à la nature physique ou psychologique de cette affection. Le spleen souffre de la même mauvaise réputation. "Les vapeurs anglaises" comme les nomment Voltaire ou Diderot désignent à la fois un état négatif de tristesse, une langueur toute british.

Et cependant, l'analyse du terme fait apparaître le rôle du spleen dans l'expérience du désir. Ainsi, chez Shakespeare, le spleen est un signal de l'âme traduisant l'emprise d'un état de l'âme et désignant le marqueur d'une intensité: le spleen est autant malaise qu'élan. Il est une force primitive qui emporte ou domine l'âme. Cf. Richard III, acte V, sc. 3: "Que notre ancien cri de vaillance nous inspire la rage des dragons de flammes (the spleen of fiery dragons)." Le spleen est donc l'affect des luttes de pouvoir, le lieu d'un conflit où il est à la fois cause d'une dynamique et ayant pour effet un certain trouble. Il en va de même d'Eros: "Conçu de l'ennui (spleen), né de la folie; ce petit vaurien d'aveugle qui trompe tous les yeux parce qu'il a perdu les siens, qu'il juge à quelle profondeur je me débats dans mon amour." As you like it, acte IV, sc.1. Ici, le désir est un jeu d'équilibre entre malaise et jouissance, entre ruse et vérité, entre embarras et lucidité.
Le spleen traduit donc l'ambivalence du désir comme expérience d'une intensité: il n'est pas projection vers un objet désiré quelconque mais flux de forces comme désir du désir lui-même. Autrement dit, le désir est ici une force qui surpasse son propre but.

Le spleen acquiert cependant un sens singulier avec Baudelaire: affect complice du dandy, il est ce sentiment trouble naissant du désir de se détacher de la médiocrité ordinaire. Plus que sentiment moral dans l'ordre logique de la conquête du pouvoir, il est un affect a-logique, une coupure par rapport à l'ordre familier des choses et des êtres. Le spleen est un style de vie où domine la surexcitation.
Ce faisant, le spleen est moins un état pathologique que le jeu auquel se livre le sujet désirant avec lui-même. (Ex. Le jet d'eau dans les épaves (éd° 1866) des Les Fleurs du Mal). Il est le privilège aristocratique de ceux qui savent se faire les comédiens d'eux-mêmes. Ainsi de la définition oxymorique du dandy dans Peintre de la vie moderne décrit comme un "soleil couchant; comme l'astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie."
"L'Héautontimorouménos", poème des FLeurs du Mal, est la mise en scène de ce "miroir pervers" (J. Starobinsky) que le sujet désirant s'impose à lui-même. Il est ce dispositif réflexif où le sujet désirant plonge en lui-même: l'emprise de la conscience sur son propre désir est dès lors obstacle à la simple jouissance innocente et moteur de la vitalité de son désir, autant jeu amoureux quelque peu sadique qui se désinvestit des plaisirs pour le seul mouvement du désir lui-même, autant si ce n'est plus jeu avec soi-même (cf. le titre du poème) où le sujet déirant s'impose la torture de convertir ses plaisirs en désir. Tout sujet désirant doit se doter de cette "vorace ironie" qui a pour but de le persécuter lui-même par aspiration à être autre chose que simplement soi.

Ce faisant, un sujet désirant n'est pas la simple répétition à l'identique des mêmes plaisirs, mais le flux du désir en tant qu'il projette toujours vers autre chose que soi-même. Désirer, c'est avoir la fausse modestie de reconnaître que le plaisir n'est pas un argument.

Cinéma et philosophie - Eros mélancolique (chansons d'amour)



Mauvais sang
, L. Carax

lundi 9 juin 2008

Synopsis du cours du 25/05/08 - Eros mélancolique 3/3

Qu'en est-il alors de la mélancolie? Est-elle le symptôme ou le remède à toute expérience du désir? Cf. thème de la mélancolie amoureuse,3ème partition de l'Anatomie de la mélancolie de R. Burton (1621). La mélancolie est autant l'effet que la cause de l'emprise de "l'amour sauvage et fou". Toute l'ambiguité du désir est d'être autant vecteur d'intensité que source d'une fureur pleine d'emportement. La mélancolie est la maladie du corps et de l'âme, celle d'une âme qui a un corps (dévaluation de l'idéal), celle du corps qui à une âme (valorisation du réel).
Cependant, Burton distingue entre l'âme [soul] comme support et l'esprit [mind] comme état ou disposition d'esprit relatif à un certain équilibre entre l'âme et le corps (quiétude [quietness]/inquiétude [unquietness], aise [easiness]/malaise [uneasiness]). Ce faisant, la mélancolie est décrite comme une perturbation plus ou moins présente selon les états du sujet désirant. Aussi est-ce par nature que le désir ne peut être que mélancolie, mais c'est par accident que cet état de l'esprit [mind] porte atteinte à l'âme [soul] elle-même. Par nature, le désir est mouvement vers..., tension dans..., recherche de... dont la tranquilité est au mieux l'aboutissement du désir. Autrement dit, le plaisir est le résultat jouissif d'un processus embarassant. Le plaisir est le rebus d'un devenir, c'est-à-dire le résultat d'un mouvement qui n'abolit en rien le mouvement lui-même.

L'ironie [wit] est ce dérèglement du désir à la fois signe d'une intensité particulière et symptôme d'un déséquilibre chancelant. Elle est le signe d'une vigueur en matière de désir qui a pour seul inconvénient d'attrister. Ce faisant, l'ironie peut avoir une fonction thérapeutique. Cf. Shaftesbury, Lettres sur l'enthousiasme (1711). L'ironie est le poison du désir comme son remède: il est l'inquiétude qui perturbe la simple jouissance et le jeu qui permet la relance du désir. Désirer réclame sa part d'ironie nécessaire pour ne pas simplement jouir, mais se réjouir encore.
Aussi, désirer certes attriste mais pour mieux nous réjouir. L'expérience du désir est en même temps celle d'un poison et d'un remède: le désir est sa propre pharmacie. Car le désir soliloque, c'est-à-dire travaille le sujet désirant, le faisant se découvrir désirant et creusant ainsi une troublante intimité à lui-même. Désirer, cela peut être autant s'enfermer dans l'égoïsme des jouissances que permettre l'éhappée vers les autres lieux du plaisir. Car désirer, c'est se découvrir, c'est-à-dire autant creuser en soi-même que s'ouvrir à autre chose que soi-même.